Cancer du sein et IA : quand l’œil augmenté affine le diagnostic

03 novembre 2021

L’intelligence artificielle (IA) fait ses premiers pas dans le domaine de l’oncologie. Au-delà de la tendance, comment fonctionne ce dispositif de reconnaissance par l’image dans le diagnostic du cancer du sein ? Quelle sera la plus-value sur le long terme pour les patientes ? Les réponses de deux experts sur le sujet.

L’intelligence artificielle (IA) « est considérée pour son côté excitant, innovant. On a envie d’aller très vite », décrit le Dr Pierre-Etienne Heudel, oncologue sénologue et chargé de mission e-santé, Centre Léon Bérard (Lyon). « Mais il faut bien se dire qu’aujourd’hui on n’utilise pas d’IA dans la pratique quotidienne pour choisir un traitement en cancérologie par exemple. »

Pour autant, IA ne rime pas avec la médecine du futur ! « Nous en sommes à l’état de recherche. Et cette recherche va très vite Dans ma vision des choses, en oncologie, l’IA entrera dans la routine clinique d’ici 5 à 10 ans. » Et les prémices sont déjà là, notamment dans le domaine « de l’imagerie numérique, pour la mammographie et l’IRM », décrit le Dr Luc Ceugnart, spécialisé en radiologie interventionnelle thorax et sein au Centre Oscar Lambret (Lille). Cette thématique sera par ailleurs abordée à l’occasion des 43ème Journées de la société française de sénologie et de pathologie mammaire (SFSPM), organisées ces 12 et 13 novembre 2021 à Lyon.

Numériser des biopsies pour alimenter la machine du deep learning

Le projet le plus avancé relève de l’analyse automatique des lames obtenues après biopsie de tumeurs. « Ces lames sont aujourd’hui observées par microscope. Et elles sont de plus en plus numérisées ». Grâce au deep learning (apprentissage profond), l’idée est de fournir ces données à la machine d’IA qui va apprendre à distinguer les prélèvements cancéreux de ceux qui restent sains.

La capacité de la machine d’IA à digérer les algorithmes est infinie, contrairement au cerveau humain. Et c’est là tout l’intérêt de l’IA au cœur du dépistage du cancer du sein : « gagner du temps sur les étapes qu’une machine peut tout à fait gérer en complément de l’œil de l’expert », étaye le Dr Ceugnart. « Et libérer du temps aux spécialistes pour qu’ils se concentrent sur les tâches plus complexes du dépistage. »

L’IA au cœur de la désescalade thérapeutique

En plus de caractériser les tissus cancéreux, l’IA sera un outil de personnalisation du suivi. « Grâce à l’IA, le spécialiste dispose d’un diagnostic et d’un pronostic plus précis en termes de toxicité, de rechute. Il peut plus facilement adapter les traitements », détaille le Dr Heudel. L’IA s’intègre donc dans la désescalade thérapeutique, mis en avant cette année à l’occasion d’Octobre Rose. En quoi consiste cette approche ? A diminuer la fréquence des traitements (espacer les séances de chimiothérapie et/ou de radiothérapie) et la quantité des doses prescrites, en privilégiant les thérapeutiques les moins nocives possibles et les plus adaptées à la biologie de la tumeur. L’enjeu : limiter autant que possible les effets secondaires liés aux traitements, physiques comme psychologiques, en garantissant aux patientes le même degré d’efficacité.

La relation soignant-soigné à repenser ?

A la croisée du numérique et de la médecine personnalisée, l’Institut Curie lance un projet de numérisation des lames de tissus mammaires, à compter du premier semestre 2022. L’Institut prévoit de numériser 51 000 lames de microscope par an collectées auprès de 3 400 patientes, soit une quinzaine de larmes par femme.

Dans un avenir proche, l’IA aidera le médecin à orienter le pronostic donc le parcours thérapeutique « Il nous faut des données probantes, hétérogènes, fiables, pour rassurer le patient et considérer le dispositif comme un œil augmenté du médecin », précis le Dr Heudel. « De mon point de vue, il est important de ne pas considérer l’IA comme un substitut du spécialiste. » Un point de l’éthique indispensable « si l’on veut que l’IA renforce la relation soignant-soigné, ce qui est l’un des objectif ».

A noter : à terme, l’IA pourrait permettre de caractériser les tumeurs par profil biologique. A Gustave Roussy, une IA a été mise au point en recherche expérimentale pour évaluer le risque de rechute métastatique dans les 5 ans chez des patientes traitées pour un cancer du sein.

*aux Etats-Unis, la FDA, agence américaine du médicament et des dispositifs médicaux, a délivré une centaine d’autorisations concernant les dispositifs d’intelligence artificielle. Courant septembre, elle a donné son feu vert pour l’utilisation de l’IA dans le diagnostic du cancer de la prostate

**identification des marqueurs de tumeurs mammaires à partir de l’analyse des tissus

 

  • Source : Interview du Dr Luc Ceugnart, radiologue sénologue spécialisé en radiologie interventionnelle thorax et sein, Centre Oscar Lambret (Lille), le 13 octobre 2021 – Dr Pierre-Etienne Heudel, oncologue sénologue et chargé de mission e-santé, Centre Léon Bérard (Lyon) – British Medical Journal (BMJ). Karoline Freeman. Use of artificial intelligence for image analysis in breast cancer screening programmes: systematic review of test accuracy.

  • Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

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