Cancer : pourquoi le poumon est-il plus souvent le siège de métastases ?

02 janvier 2025

Plus de la moitié des patients atteints de cancer présentant des métastases au-delà du site primaire du cancer développent des lésions au niveau des poumons. Qu'est-ce qui rend cet organe si propice à l'implantation des cellules cancéreuses agressives ? Un acide aminé, l’aspartate, jouerait un rôle déterminant.

Les cellules cancéreuses peuvent soit provenir du poumon – on parle de cancer primitif du poumon – et former des métastases dans d’autres organes, soit atteindre le poumon à partir d’un autre site primaire (métastases pulmonaires). Le terme métastase désigne la migration de cellules cancéreuses depuis une tumeur primaire vers un site secondaire.

Une très récente découverte, publiée dans la revue Nature, ouvre la voie à de nouvelles interventions thérapeutiques contre la propagation métastatique. Des chercheurs auraient en effet identifié un élément clé favorisant l’implantation de cellules cancéreuses agressives dans le tissu pulmonaire. Il s’agit d’un un acide aminé : l’aspartate.

Un malade du cancer sur deux ayant des métastases les développe au niveau du poumon

Les poumons sont souvent le site de métastases. Certaines études estiment même que les métastases pulmonaires sont présentes chez 54 % des patients atteints de tumeurs métastatiques. Cette fréquence élevée s’explique par les propriétés physiques du système pulmonaire (après être passées par la circulation veineuse, les cellules tumorales circulantes empruntent le système veineux qui converge vers le cœur droit, avant d’être propulsées dans la circulation pulmonaire). Un autre mécanisme complémentaire serait l’environnement moins oxydatif dans le poumon, qui pourrait favoriser la survie des cellules cancéreuses. L’oxydation est une réaction chimique dans laquelle des molécules perdent des électrons, souvent en raison de l’interaction avec l’oxygène. La conséquence est la production d’espèces chimiques instables appelées radicaux libres, qui peuvent endommager les cellules et les tissus.

De plus, des facteurs sécrétés par les tumeurs primaires elles-mêmes modifient les cellules immunitaires et la matrice extracellulaire* du poumon, créant un environnement propice à l’installation des cellules cancéreuses qui y parviennent. Or, la manière dont les nutriments présents dans les organes ciblés par les métastases confèrent aux cellules cancéreuses des caractéristiques agressives reste mal définie. Cette nouvelle étude montre que l’un de ces nutriment, l’acide aminé aspartate, présent dans le poumon, déclenche une cascade de signaux cellulaires dans les cellules cancéreuses disséminées, augmentant ainsi l’agressivité de ces métastases pulmonaires.

L’aspartate pourrait jouer un rôle clé dans les métastases pulmonaires

Plus précisément, l’équipe de la Professeure Fendt (Centre de biologie du cancer VIB-KU Leuven) a observé que les patients et les souris atteints de cancer du sein présentaient des concentrations élevées d’aspartate dans leur liquide interstitiel pulmonaire. Cet aspartate extracellulaire active un récepteur spécifique situé au niveau des cellules cancéreuses (ionotropique N-méthyl-D-aspartate), lequel déclenche un processus en cascade rendant les tumeurs métastasiques dans le poumon agressives. En résumé, cette protéine clé, essentielle au bon fonctionnement de nos cellules, est dévoyée : elle se comporte dans l’environnement pulmonaire comme une molécule de signalisation présent à l’extérieur des cellules pour promouvoir l’agressivité des cellules cancéreuses métastasiques disséminées dans les poumons.

Par quel mécanisme ?

Si les scientifiques sont partis dans cette direction et ont pu identifier les mécanismes impliqués, c’est parce qu’ils avaient constaté « des niveaux élevés d’aspartate dans les poumons de souris et de patients atteints d’un cancer du sein par rapport à ceux sans cancer, commente Ginevra Doglioni, doctorante au laboratoire Fendt et première auteure de l’étude. Cela suggérait que l’aspartate pourrait jouer un rôle clé dans les métastases pulmonaires. »

Les chercheurs ont observé dans les cellules cancéreuses des métastases pulmonaires une modification activatrice d’un facteur (eIF5A), associée à une agressivité accrue des métastases pulmonaires. Or ils ont pu démontrer que l’aspartate déclenchait cette modification d’eIF5A.

La Pre Fendt souligne : « Le signalement (l’activation, ndlr) par l’aspartate pourrait être une caractéristique commune des cellules cancéreuses colonisant les poumons. De plus, il existe déjà des médicaments capables de cibler ce mécanisme. Avec des recherches supplémentaires, une application clinique pourrait être envisageable. »

* réseau complexe de protéines et de sucres complexes qui fournit un support structurel aux cellules pulmonaires et joue un rôle crucial dans la régulation de diverses fonctions biologiques

  • Source : Doglioni, G., Fernández-García, J., Igelmann, S. et al. Aspartate signalling drives lung metastasis via alternative translation. Nature (2025). https://doi.org/10.1038/s41586-024-08335-7; Gerull, W. D., Puri, V. & Kozower, B. D. The epidemiology and biology of pulmonary metastases. J. Thorac. Dis. 13, 2585–2589 (2021).

  • Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet

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