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Pouvez-vous brièvement décrire ce qu’est l’hémophilie ?
Dr Trossaërt : L’hémophilie – maladie hémorragique rare liée à une mutation sur le chromosome X – correspond à un déficit en facteur VIII (hémophilie A, 80 % des cas) ou en facteur IX (hémophilie B), deux protéines essentielles à la coagulation et produites par les cellules du foie. Moins ces facteurs sont présents, plus le risque de saignement est élevé. Pour l’hémophilie B, le facteur IX est administré en injection intraveineuse à l’hôpital, le plus souvent une fois par semaine, pendant toute la vie.
En quoi consiste la première thérapie génique dans l’hémophilie B ?
Depuis peu, une thérapie génique, etranacogene dezaparvovec (commercialisée sous le nom de Hemgenix), est disponible pour l’hémophilie B. Le principe : corriger l’anomalie génétique à l’origine du déficit en facteur IX. Chez les patients avec hémophilie sévère, le foie ne produit pas ce facteur car une portion de leur ADN est défectueuse. L’objectif de la thérapie est donc de réintroduire dans les cellules hépatiques une version fonctionnelle du gène du facteur IX. Pour cela, on utilise un vecteur viral (un virus adéno-associé), rendu inoffensif, dans lequel est inséré un gène modifié du facteur IX. Ce gène est optimisé pour produire davantage de cette protéine. Le patient reçoit en une unique perfusion une grande quantité de ce virus. Une fois dans l’organisme, les vecteurs atteignent le foie, pénètrent dans les cellules dont ils utilisent la machinerie pour produire du facteur IX.
Pour quelle efficacité ?
En général, la synthèse du facteur débute après deux à trois semaines. Les taux atteints ne sont pas « normaux » mais souvent suffisants pour atteindre 20 à 30 %, soit un passage d’une forme sévère à une forme mineure de la maladie. Cela permet l’arrêt des injections intraveineuses et la quasi-disparition des saignements dans la majorité des cas. On parle plutôt de rémission que de guérison complète, car le taux de facteur reste en deçà de la normale. Le suivi montre que les taux restent stables sur 6 à 10 ans, mais ces patients seront suivis pendant 30 ans pour en évaluer la durabilité réelle.
8 891 personnes étaient atteintes d’hémophilie en 2021. Quels sont les patients qui peuvent bénéficier de cette thérapie génique ?
Cette thérapie génique ne s’adresse pas à tous les patients hémophiles, mais en priorité aux formes sévères ou modérées-sévères. Son coût est élevé (on parle de 2,8 millions d’euros, le prix est en cours de fixation entre le laboratoire et les autorités de santé), à mettre en regard de celui du traitement standard à vie (entre 6 000 et 8 000 euros par semaine chez un adulte). En moyenne, on estime que la thérapie génique devient « rentable » au bout d’une dizaine d’années.
En France, seuls cinq centres sont habilités à administrer ce traitement : Paris (Necker), Lyon, Lille, Marseille et Nantes. Au CHU de Nantes, on recense environ une quinzaine de patients atteints d’hémophilie B. Trois se sont montrés intéressés, mais un seul a pu recevoir le traitement pour l’instant.
Cette thérapie constitue-t-elle une forme de Graal pour les personnes hémophiles ?
Pas pour toutes. Déjà seuls les adultes peuvent en bénéficier à ce stade car les études chez les plus de 12 ans ne commenceront pas avant fin 2025 ou début 2026. Autre critère indispensable : le foie doit être parfaitement sain car il existe un risque d’hépatite. D’où la nécessité d’un suivi hépatique très rigoureux. La plupart du temps, cette hépatite reste modérée et transitoire, mais elle peut parfois être sévère, nécessitant un traitement par corticoïdes.
Chez les patients hémophiles, cette exigence est particulièrement contraignante. Beaucoup ont été contaminés par le virus de l’hépatite C dans les années 1980, à l’époque du scandale du sang contaminé. Certains ont développé des séquelles hépatiques importantes. Depuis une dizaine d’années, on dispose de traitements efficaces contre l’hépatite C, limitant le risque de cirrhose. Mais chez certains, le foie reste fragilisé.
Troisième condition : accepter une année d’abstinence alcoolique, pour préserver le foie. Quatrième condition : la thérapie génique implique que le vecteur viral se diffuse dans l’ensemble de l’organisme, y compris dans les spermatozoïdes. Le principe de précaution est d’éviter toute grossesse dans l’année qui suit l’injection, même si les études cliniques ont montré qu’au bout d’un an, il n’y avait plus rien. En attendant, les hommes inclus dans les essais devaient utiliser un préservatif et leur partenaire une contraception efficace, pendant douze mois.
Enfin, dernière condition pour bénéficier de la thérapie génique, le suivi post-injection : un bilan sanguin hebdomadaire et un suivi étroit à l’hôpital pendant au moins six mois, ce qui peut être incompatible avec une vie active chez ceux habitant à 100 ou 150 kilomètres de l’hôpital.
Source : Interview du Dr Marc Trossaërt, du Centre régional de traitement de l’hémophilie (CHU Hôtel-Dieu, Nantes), mai 2025 ; sites de l’Inserm et Orphanet, PubMed.
Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet