Déclencher l’accouchement, jamais sans l’avis de la patiente
08 décembre 2017
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A l’occasion de son congrès (5-8 décembre), le Collège national des gynécologues et obstétriciens (CNGOF) a annoncé la mise en place de labels de qualité pour les maternités. En effet, les témoignages de jeunes mamans dénonçant depuis cet été 2017 des violences obstétricales au cours de leur accouchement se multiplient. Parmi les points soulevés, le déclenchement à terme revêt une dimension à part, avec le retrait du cytotec annoncé pour 2018. Deux jeunes femmes ont accepté de nous confier leur expérience personnelle. L’occasion de rappeler la nécessité absolue du consentement dans les soins.
La principale raison médicale de déclencher un accouchement est la rupture des membranes. « Quand l’œuf est ouvert, une colonisation bactérienne se fait en l’espace d’une douzaine d’heures et entraîne un risque d’infection », explique le Pr Bernard Hédon du CNGOF. Pour prévenir cette infection, le déclenchement est indiqué afin de réduire le temps de travail.
Autre raison, le post terme. En clair, lorsque la date du terme est dépassée et que le bébé ne veut toujours pas sortir. « Dans ce cas, le placenta risque de devenir de moins en moins fonctionnel », précise Bernard Hédon. Alors, le bébé est moins bien nourri, moins bien oxygéné. Mais cette indication pose la question du délai maximum après terme. « Une procédure de surveillance doit être mise en place pour vérifier que bébé ne souffre pas », note le gynécologue. Ensuite, « le déclenchement est indiqué, quelle que soit la situation, à 15 jours post-terme ».
Ce n’est pas ce qu’a vécu Charlène. En 2015, la jeune femme attend son premier enfant. A 40 semaines d’aménorrhée*, elle vient passer son échographie de terme à la maternité de l’hôpital Necker à Paris. Tout va bien. Pourtant, « on veut me déclencher le lendemain », raconte-t-elle. Elle refuse. A partir de ce moment, « j’ai eu l’impression de gêner, que je devais accoucher tout de suite pour ne pas leur faire perdre de temps », assure-t-elle. « Ils m’ont mis la pression, m’ont fait du chantage à la mort fœtale. » Elle parvient à repousser le déclenchement quelques jours. Mais pas plus de 5 car « ils m’ont assuré que chaque maternité avait son protocole en matière de délais de déclenchement post terme. Ils m’ont dit ‘chez nous c’est 5 jours’. Si je voulais repousser encore, je devais aller ailleurs ».
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« Déclencher ne nuit pas au bébé »
« Déclencher à terme ne nuit pas au bébé », affirme le Pr Hédon. Pourtant, « en médecine le risque zéro n’existe pas » répètent souvent les médecins. En outre, le collectif de patientes « Le OFF du CNGOF » assure que « le déclenchement double le risque de césarienne ». Une étude menée en 2005 montrait ainsi cette augmentation de risque. Laissé à la porte du congrès du CNGOF, le collectif avait pourtant demandé la possibilité de lire un texte à l’assemblée de gynécologues réunis.
Hélène (désormais membre de l’association Césarine) de son côté a accouché il y a 8 ans à Saint Maurice (94). A 38 semaines d’aménorrhée*, son taux de glycémie se situe un peu haut, mais dans la normale. « Il n’y avait rien de grave et pourtant la sage-femme m’a annoncé qu’un déclenchement était prévu dans mon dossier sans que j’en ai été informée », raconte la jeune femme. Elle refuse. « A partir de ce moment là, tous les deux jours, lors de mon monitoring, tous les soignants ont tenté de me convaincre par tous les moyens », poursuit-elle. Les arguments ? « Mon bébé allait être gros (3,9kg), je risquais la mort in utero de mon enfant… » Des arguments massues auxquels elle résiste. Puis c’est le mensonge. « Il m’assurent que c’est juste un petit coup de pouce ».
Pour Charlène, l’équipe a déformé la réalité. « Ils m’ont assuré que le cytotec était un produit pour faire mûrir le col de l’utérus alors que son but est de provoquer des contractions utérines. »
Une date de convenance ?
Pourquoi ces pressions pour déclencher l’accouchement de ces deux femmes, alors qu’aucune des deux raisons médicales possibles ne s’appliquait (rupture des membranes ou 15 jours post terme) ?
Parfois le déclenchement peut se justifier pour répondre à des questions d’agenda. Mais est-ce bien raisonnable de déclencher trop tôt, par pure convenance ? Il arrive que « la patiente veuille que son mari soit présent alors qu’il a des déplacements professionnels prévus », explique Bernard Hédon. Alors on peut fixer une date pour l’accouchement, qui sera, de fait déclenché.
Mais dans les cas d’Hélène et de Charlène, rien de tout cela. Les pressions venaient bien du corps médical. Or « la convenance pour les soignants et les établissements n’est pas recommandée », insiste le Pr Hédon.
Des gynécologues fragilisés ?
Face aux nombreux témoignages relayés dans les médias de femmes dénonçant des violences obstétricales, les gynécologues réagissent. « Le bruit médiatique de celles qui s’expriment, souvent de façon brutale et injuste, voire polémique, n’est pas le reflet de la réalité », réplique le collège. « Une grande majorité de patientes sont satisfaites de la façon dont leur accouchement s’est déroulé et dont elles ont été accompagnées par un personnel compétent et dévoué. »
« Mais si c’est une majorité, ce n’est pas la totalité », admet-il. Le CNGOF publiera donc bientôt des Recommandations de Pratique Clinique en matière d’accouchement à terme. Pour justement éviter d’être confronté à ces accusations. « Le partage des recommandations professionnelles et l’encouragement à la discussion anticipée d’un projet de naissance ne peuvent qu’aider à la qualité de la relation de confiance qui doit exister entre patiente et praticien », souligne le Pr Hédon.
En outre, la mise en place de labels de qualité pour les maternités à partir de juin 2018 a pour but d’améliorer le rapport entre les soignants et les patientes.
Condescendance, mépris, infantilisation…
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En attendant, de nombreuses parturientes ont souffert de ces situations parfois dramatiques. « J’ai été traumatisée et j’ai souffert d’une hémorragie de la délivrance après un accouchement horriblement douloureux », souligne Charlène. « J’ai surtout ressenti beaucoup de condescendance et de mépris de la part des équipes face à mon refus. » Pour elle, « les protocoles d’accouchement devraient être indiqués dans les dossiers d’inscription ou au moins être évoqués lors des réunions d’accueil de la maternité ». De retour à son domicile, elle a dû combattre une dépression.
Pour Hélène, histoire similaire. « Après trois jours de déclenchement et des doses de cheval de propess**, mon travail ne commençait toujours pas », raconte-t-elle. « La sage-femme m’a alors décollé les membranes manuellement sans me prévenir lors d’un toucher vaginal de contrôle. J’ai ressenti une douleur immense et j’ai vécu cela comme un viol », explique-t-elle. Par la suite, « j’ai tout abandonné, j’ai ressenti une grande impuissance et tout cela ne me concernait plus ». Hélène a souffert d’un un syndrome de stress post traumatique après une césarienne et a eu beaucoup de mal à s’attacher à son enfant dans les premiers temps. « Je pleurais jour et nuit, je faisais des cauchemars… des séances d’EMDR ont été nécessaires pour que j’aille mieux. » Au final, un sentiment « d’infantilisation » de la femme sur le point d’accoucher.
Soigner la relation patiente/accoucheur
Pourtant, Hélène ne voit aucune « malveillance ou manipulation consciente » dans le comportement des équipes. « Je n’ai pas envie qu’on dresse les gynécologues contre les patientes, ce serait la pire des choses qui pourrait se passer », assure-t-elle. « Mais inversement, il faut dire au corps médical qu’infantiliser les femmes est destructeur de cette même relation. »
Mais comment expliquer ces pressions exercées parfois sur les parturientes à terme pour déclencher l’accouchement ? « Les accouchements normaux dont le risque est plus faible sont pris en charge dans les mêmes locaux et par les mêmes personnels que les accouchements plus à risque », justifie le CNGOF. « Cela crée une tendance à la médicalisation systématique pour toutes les patientes, source potentielle de plus d’inconvénients que d’avantages. » Cette « intrusion médicale peut être ressentie comme agressive par une patiente qui recherche une ambiance plus familiale pour cet acte important de sa vie », poursuit-il.
Enfin, « si la bientraitance est un objectif qui doit toujours être recherché, cela ne doit jamais être au détriment de la sécurité », explique encore le CNGOF. Des arguments que les femmes victimes de ces agissements et souffrant parfois de traumatismes auront sans doute du mal à entendre.
*une grossesse est à terme à 38 semaines de grossesse et 40 semaines d’aménorrhée
**un médicament destiné à déclencher l’accouchement
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Source : interviews de Charlène et Hélène, novembre 2017 - interview du Pr Bernard Hédon du CNGOF, décembre 2017 – conférence de presse du CNGOF, 1er décembre 2017
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Ecrit par : Dominique Salomon - Edité par : Vincent Roche