La masturbation : la route vers l’autonomisation sexuelle des femmes ?

15 mai 2025

Un récent sondage indique que 30 % des hommes se masturbent plusieurs fois par semaine contre seulement 9 % des femmes. Comment expliquer un tel écart ? Réponses avec Margaux Terrou, sexologue à Boulogne-Billancourt et autrice de La Malbaise (Ed. Payot).

Les hommes se masturbent beaucoup plus que les femmes. Comment expliquer cet écart, également appelé « masturbation gap » ?

Margaux Terrou : Dans l’éducation, il y a un rapport à la masturbation durant l’enfance et l’adolescence qui est très différent selon les sexes. Chez les hommes, la masturbation est tolérée voire acceptée. Dans la pop culture, la masturbation masculine est banalisée. Dans les séries, il n’est pas rare d’apercevoir un homme au lit qui se cache le sexe avec une chaussette. On se souvient tous de cette fameuse scène d’American Pie* ! A tel point que la masturbation masculine fait partie de notre vocabulaire courant. Le mot branleur est ainsi largement utilisé dans le langage courant. Cette pratique est très acceptée par rapport à la masturbation féminine.

C’est-à-dire ?

Vers 12-13 ans, la masturbation pour les hommes est quelque chose qu’ils vont découvrir, qui est valorisée, les jeunes hommes en parlent entre eux. On fait des blagues douteuses en famille comme : « j’ai retrouvé des mouchoirs dans ta chambre ». Mais, chez les femmes, la masturbation reste un impensé. On n’en parle pas. Quand on parle sexualité aux jeunes filles, ce n’est que par le prisme de la pénétration. On leur explique que, soit elles peuvent attraper une IST soit elles peuvent tomber enceintes. La question du plaisir est totalement absente.  Les femmes se masturbent donc beaucoup plus tardivement que les hommes. Vers 17-18 ans chez les femmes, beaucoup plus tôt chez les hommes. On se retrouve ainsi à l’âge adulte avec ce « masturbation gap », car les hommes ont intériorisé une pratique. Les femmes, non.

Quelle est l’influence de ce « masturbation gap » sur la sexualité ?

Un jeune homme qui commence à se masturber adolescent voit cette pratique comme quelque chose qui peut le détendre, lui faire du bien, lui apporter de la satisfaction. C’est un moment pour lui. Et par extension, il va voir la sexualité aussi comme un moment de détente. Alors qu’une femme qui n’a pas été habituée à la masturbation, n’intègre pas non plus, à l’âge adulte, la sexualité, dans son ensemble, comme un moment où elle peut prendre soin d’elle.

“Chez les femmes la masturbation reste un impensé.”

Peut-on également penser qu’il y a de la culpabilité ?

Les représentations dans la pop culture étant absentes, il y a une énorme culpabilité à le faire et même une pathologisation. Plusieurs de mes patientes pensent ne pas être normales, craignent d’être “nympho”, d’avoir des problèmes… On retrouve aussi de la culpabilité vis-à-vis du partenaire. Il y a toute une éducation à faire autour de cela. Se masturber n’est pas tromper !

En outre, les femmes sont peut-être aussi moins disponibles que les hommes, psychiquement ?

Evidemment. Pour se masturber, il faut avoir du désir. Pour que le désir puisse exister, encore faut-il qu’il y ait de la place pour cela. Pour toutes ces raisons, on se retrouve avec un rapport à la masturbation qui est très différenciée entre les hommes et les femmes. Il entraîne un rapport à la sexualité qui est également très différent, en plus d’une culpabilité ressentie à l’idée de le faire ; la masturbation n’ayant pas été intégrée par les femmes comme une pratique à laquelle elles ont droit, contribuant à leur bien-être. Certains voient cela comme une futilité alors que le plaisir fait partie intégrante de la santé sexuelle, qui elle-même relève de la santé en générale, selon l’OMS ! La santé sexuelle, ce n’est pas que l’absence de maladie, c’est aussi l’état de bien-être.

Constatez-vous toutefois une évolution des mentalités dans votre pratique ?    

On constate une évolution grâce à la démocratisation de la parole sur les réseaux sociaux, auxquels toutes les femmes n’ont toutefois pas forcément accès mais aussi avec la démocratisation des sex-toys. Le Womanizer a vraiment permis à certaines femmes d’accéder à leur plaisir.

“Se connaître, c’est la clé de l’autonomisation.”

Y voyez-vous un objet de sexpowerment ?

Oui, tout à fait. Au même titre que la série de livres Fifty shades of grey. On en pense ce qu’on veut mais ces romans ont permis à de nombreuses femmes de se reconnecter à leur désir via un support érotique. Aujourd’hui, les femmes sont trop dépendantes des hommes pour leur plaisir. Mais « connais-toi, toi-même » : si une femme sait ce qui la fait vibrer, ce qu’elle aime, cela l’accompagnera vers une autonomisation sexuelle ! Même sans forcément se masturber, juste se toucher permet de se connaître. Je dis à mes patientes de se toucher mais aussi de prendre un miroir et regarder leur vulve pour en prendre pleinement conscience. Se connaître, c’est la clé de l’autonomisation.

Quels conseils donner aux femmes qui n’osent pas se masturber ?

Il faut voir cette découverte comme un jeu et explorer les différents supports : des podcasts érotiques comme Voxxx, Hot stories (Bliss), des BD érotiques, du porno éthique (comme celui d’Erika Lust) … afin d’identifier ce qui nous attire le plus. Ensuite, on commence à lire, à visionner, en restant connectée à ses sensations. Il faut savoir que lorsqu’on ne s’est jamais masturbé, cela peut être déstabilisant. Il y a près de 11 000 terminaisons nerveuses dans le clitoris, cela peut chatouiller de le réveiller et ce n’est pas forcément agréable. Je conseille donc de toucher d’abord ce qu’il y a autour, sans se poser une énième injonction : celle de devoir jouir. Non, ce qui compte c’est la curiosité. Il faut être dans une posture de découverte et non d’attente. Il n’y a pas de bons ou de mauvais rythmes ni de bonnes ou de mauvaises façons de faire. Le chemin, on le suit avec soi, pas avec les autres. Si le blocage est trop important, on peut aller consulter, un sexologue ou un psychologue. Souvent, en consultation, on découvre un interdit autour de la sexualité qu’il sera bénéfique de creuser.

*Le personne principal, un lycéen, est surpris en train de se masturber par son père dans ce film de 1999

* La Malbaise de Margaux Terrou, édition Payot, avril 2025 

  • Source : SexReport Adam et Eve 2024, Interview de Margaux Terrou, sexologue

  • Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par : Emmanuel Ducreuzet

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