Le deuil : le vécu des Français en dix chiffres choc

10 octobre 2025

Deuil prolongé, prise de médicaments, perte d’emploi… Le deuil bouleverse chaque année trois millions de vies en France. Il est pourtant souvent tu et invisible. Le nouveau baromètre « Les Français face au deuil » (2025) met en lumière à quel point cette épreuve fragilise les parcours de vie et accentue les inégalités. Autant de constats qui orienteront la 3ᵉ édition des Assises du deuil, organisée ce 10 octobre 2025 (Paris) par l’association Empreintes.

Le deuil, universel mais encore trop tabou. La nouvelle enquête du CRÉDOC Les Français face au deuil – Baromètre 2025, menée avec l’association Empreintes et le Syndicat de l’Art Funéraire (SAF), met en évidence l’ampleur des répercussions du deuil. Une personne sur deux s’est sentie isolée après un décès, une proportion qui atteint 63 % chez les 18-29 ans. Autre réalité rarement évoquée : plus d’un tiers des personnes ayant vécu un décès marquant il y a plus de cinq ans déclarent ressentir encore ce deuil aujourd’hui.

Une mise en lumière du deuil prolongé

11 % des endeuillés sont susceptibles de souffrir de trouble de « deuil prolongé ». C’est-à-dire qu’il se prolonge au-delà d’un an après un décès et se caractérise par une nostalgie. Depuis 2022, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5ᵉ édition, publié par l’Association américaine de psychiatrie (DSM-5), reconnaît le « trouble du deuil prolongé ». Pour la première fois en France (questionnaire élaboré par Holly G. Prigerson), il est possible d’évaluer sa prévalence. En l’occurrence, 11 % des personnes en deuil sont susceptibles d’en être affectées.

« Les 11 % évoqués par le baromètre doivent être mis en perspective, signale Caroline Witschger, coordinatrice des accompagnements famille et psychologue chez Empreintes. Environ 80 % des deuils se déroulent de manière harmonieuse. L’enjeu, ici, est d’identifier et de mieux comprendre ce trouble afin de disposer de données objectives pour adapter les dispositifs d’accompagnement. »

Les chiffres sur le trouble du deuil prolongé sont encore plus élevés chez les personnes endeuillées à la suite du décès d’un conjoint ou d’un enfant (22 %). « La perte d’un partenaire bouleverse profondément la vie quotidienne de celui ou celle qui a survécu, dans toutes ses dimensions – sociale, affective, professionnelle, et même sur le plan de la santé, indique Caroline Witschger. La personne endeuillée doit gérer son propre vécu de deuil, faire le deuil de son couple, de son binôme, et de tous les projets partagés. » C’est un facteur majeur de fragilité. Lorsqu’il s’agit d’un parent seul avec enfants, la difficulté s’accroît : « il doit gérer son vécu émotionnel tout en accompagnant son enfant ou son adolescent dans son propre deuil, explique la psychologue. C’est ce double rôle, particulièrement exigeant, qui contribue sans doute à la proportion plus importante de troubles de deuil prolongé dans ces contextes. Comment soutenir un enfant ou un adolescent, dont la compréhension de la mort et le processus de deuil diffèrent de ceux de l’adulte ? Notre rôle est de soutenir le parent dans son deuil personnel mais aussi dans sa parentalité à travers des entretiens individuels ou familiaux et des groupes d’entraide pour les parents. »

Dans ce contexte, le risque professionnel est également présent : perte d’emploi, désorganisation du travail, ou incapacité temporaire à reprendre une activité normale. À cela s’ajoute le risque d’isolement.

Une augmentation de la prise de substances suite à un deuil

47 % des personnes en deuil ont augmenté leur consommation de médicaments, et 44 % celle d’alcool ou de tabac : « la prise de médicaments ou la consommation d’alcool constituent des tentatives de soulager un état émotionnel extrêmement intense et envahissant, observe Caroline Witschger. Les médicaments peuvent être utiles, notamment dans un premier temps, mais ils ne suffisent pas à eux seuls. L’accompagnement vise à soutenir la personne dans une recherche plus large d’apaisement, en mobilisant d’autres formes de ressources, intérieures ou extérieures, pour l’aider à retrouver progressivement un équilibre ».

Le deuil soulève des enjeux majeurs de santé publique. « Ces chiffres montrent à quel point le deuil n’est pas un sujet uniquement intime, souligne Louis Dupuy-Ferber, chargé de plaidoyer pour l’association Empreintes. J’aime parler du deuil comme d’un ‘fait social total’, selon l’expression du sociologue Marcel Mauss, car il mobilise toutes les dimensions de la vie collective : psychiques, familiales, juridiques, économiques et politiques. Le deuil agit comme un révélateur et un symbole de la vie sociale dans son ensemble. »

12% des actifs endeuillés ont dû quitter leur travail en raison de ce décès

Une proportion qui atteint 28 % chez les personnes ayant perdu un enfant ou un petit-enfant, et près de 20 % chez les agriculteurs exploitants, artisans, commerçants ou chefs d’entreprise, et ou les familles monoparentales. « C’est énorme, et pourtant totalement invisibilisé, commente Louis Dupuy-Ferber. On n’en parle presque jamais. Ce chiffre global de 12 %, proche de celui observé en 2021 continue de surprendre, tant le tabou autour du deuil reste fort. Cela soulève aussi la question de la durée du congé accordé en cas de décès d’un proche. Beaucoup de personnes se retrouvent en arrêt maladie, alors que le deuil n’est pas une maladie. Cela crée une confusion et masque une réalité : de nombreuses personnes comptabilisées comme étant en arrêt pour raison médicale le sont en réalité parce qu’elles traversent une souffrance liée à la perte d’un proche. Ce non-dit entretient un malentendu collectif et empêche de reconnaître les besoins réels des personnes endeuillées. »

De plus, l’enquête révèle que près d’un tiers des actifs n’ont pas été informés par leur employeur du nombre ni de la nature des congés auxquels ils avaient droit.

L’association Empreintes plaide pour la création d’un Observatoire national du deuil, afin de mesurer ses effets réels sur la santé, la vie sociale et l’économie, afin de concevoir et mettre en œuvre des politiques adaptées.

  • Source : Interviews Caroline Witschger et Louis Dupuy-Ferber (le 08/10/25) ; Enquête CRÉDOC « Les Français face au deuil – Baromètre 2025 », réalisée avec l’association Empreintes et le Syndicat de l’Art Funéraire (SAF), conduite en ligne du 23 au 30 juin 2025 auprès de 3475 individus représentatifs des résidents de France métropolitaine âgés de 18 ans et plus ; Holly Prigerson et al. (2021), “Validation of the new DSM-5-TR criteria for prolonged grief disorder and the PG-13-Revised (PG-13-R) scale.” World Psychiatry, vol. 20, no. 1.

  • Ecrit par : Hélène Joubert - Édité par Emmanuel Ducreuzet

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