Médicaments et grossesse : trop de pictogrammes tue le message

16 février 2018

Depuis le 17 octobre dernier, les médicaments considérés comme dangereux pendant la grossesse portent un pictogramme d’avertissement pour les femmes enceintes. Pour les membres de l’Académie nationale de médecine, ce système induit des effets contre-productifs. Ainsi, une vague d’inquiétude infondée pourrait conduire à une perte de chances pour les patientes.

La mise en place des pictogrammes préventifs pour les médicaments dangereux au cours de la grossesse « vise à sécuriser leur utilisation » chez les femmes enceintes. Cependant, « l’information apportée par ces pictogrammes n’est pas nouvelle ; elle permet simplement de rendre visible, directement sur la boîte, l’information qui figure déjà, notamment dans les notices des médicaments qui peuvent présenter un risque pour l’enfant à naître en cas de prise pendant la grossesse », explique le ministère en charge de la Santé sur son site internet. Cette décision a été prise suite à l’affaire Dépakine. Les victimes avaient souhaité que l’information des femmes soit plus claire.

Pourtant, d’après l’Académie nationale de médecine, si « cette mesure résulte de la juste nécessité de mieux alerter prescripteurs et patientes sur les médicaments dangereux en cours de grossesse, [elle] nécessite plus ample réflexion ». 

Près de trois quart des médicaments dangereux ? 

Ainsi, « alors qu’une quinzaine seulement de substances sont connues comme tératogènes chez l’humain (en dehors des antimitotiques) et une quarantaine comme foetotoxiques, 60% à 70% des spécialités pharmaceutiques pourraient, dans les faits, se voir apposer un pictogramme ‘Interdit’ ou ‘Danger’ dans le cadre du décret ». Cette démarche pourrait alors avoir des « effets préjudiciables et contreproductifs » avec « une vague d’inquiétude infondée » ainsi qu’une « perte de chances pour les patientes qui pourraient préférer s’abstenir de tout traitement, même indispensable ». 

Le choix laissé aux firmes pharmaceutiques

Cette « absence de précision, dans le décret, sur un certain nombre de points cruciaux » pourrait en outre « inciter les firmes pharmaceutiques à élargir le champ de l’apposition des pictogrammes dans une optique de protection médico-légale ». Pour éviter les procès en cas d’effets indésirables liés à leurs molécules donc.

Parmi les précisions manquantes selon la Docte assemblée, « il n’est pas spécifié si la notion de tératogénicité ou de foetotoxicité doit être fondée sur des données humaines ou seulement de toxicité chez l’animal ». En outre, « aucune indication n’est fournie sur une ligne de partage entre les médicaments dont la toxicité est avérée et ceux où ces effets sont seulement évoqués sans être confirmés, ni sur la gravité de ces risques ». Une absence de « claire distinction entre les niveaux de risque des substances qui diluerait l’objectif initial ».

Enfin, certes « le texte incite à fonder le choix des pictogrammes sur la présence ou non d’alternatives thérapeutiques », mais « aucune recommandation n’accompagne cette disposition », se désole l’Académie de médecine. Ce qui laisse le choix libre aux fabricants de médicaments d’apposer ou non un pictogramme sur leurs molécules, « quelle que soit la nature des éléments présents dans le RCP, leur gravité, leur extrapolabilité à l’humain et les alternatives disponibles ».

Rendre plus précis le décret de loi 

L’Académie recommande donc « de redéfinir le périmètre du décret afin d’en conserver l’intention initiale ». Pour ce faire, « seules les substances ayant fait la preuve de leur effet délétère pour la grossesse humaine devraient être visées par une action de communication de cette nature, avec apposition d’un pictogramme ‘Interdit’. » 

Quant aux autres substances, « aucun pictogramme ne devrait être apposé », assène la Docte Assemblée. « Des échanges entre prescripteurs, pharmaciens et patientes sur la base des informations médicales disponibles et de la notice des conditionnements devraient suffire, évitant de surcroît des effets d’alerte inutiles et contre-productifs », conclut-elle.

  • Source : Académie nationale de médecine, 14 février 2018

  • Ecrit par : Dominique Salomon - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

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