Ophtalmologie : des progrès à vue d’œil
16 décembre 2013
La technologie permettra-t-elle un jour de rendre la vue ? ©Phovoir
« Soigner l’œil malade, c’est chercher à vaincre les ténèbres, un défi permanent qui appelle toujours plus de connaissances, de moyens techniques, de performances ». A 82 ans, le Pr Yves Pouliquen n’a rien perdu de sa passion pour la spécialité qu’il a exercé toute sa vie, l’ophtalmologie. Ce membre de l’Académie nationale de médecine mais aussi de l’Académie française reste émerveillé de cette discipline qui, même si elle ne date pas d’hier, est toujours en évolution. « A tel point que notre époque s’est révélée plus riche pour l’ophtalmologie que toutes celles qui l’ont précédée. » Cet éminent spécialiste nous conte ainsi quelques unes – à ses yeux – des plus grandes avancées des trente dernières années.
Dire que la naissance de l’ophtalmologie n’est pas récente relève de l’euphémisme. « Nous en avons des traces dès le IIe millénaire avant Jésus-Christ » explique le Pr Pouliquen. Il semblerait en effet que le premier document faisant mention de la discipline (et de la cataracte en particulier) soit le papyrus de Carlsberg, rédigé en hiératique et démotique.
Pour Yves Pouliquen, « l’ophtalmologie a débuté avec la chirurgie générale ». En 1731, Louis XV inaugure l’Académie Royale de Chirurgie à Paris. Y sont alors pratiquées diverses opérations, dont le traitement des cataractes. « Il faudra attendre la fin du XVIIe siècle pour qu’elle commence à s’émanciper. A la moitié du XIXe, l’ophtalmologie devient une discipline indépendante. » Mais les prémices sont consacrées uniquement à la cataracte et aux infections les plus évidentes.
« En 1957, lorsque j’ai embrassé la discipline, cette dernière était encore très emprunte du siècle précédent. A titre d’exemple, lors d’opérations de décollement de la rétine, nous avions 50% à 66% d’échec. Lunettes loupes chirurgicales, exploration de l’œil… tout cela était très rudimentaire. Et une excellente connaissance clinique était nécessaire pour parvenir à un diagnostic précis. »
1970-1975, l’ophtalmologie se transforme
« C’est à partir des années 1970 que la technique s’est montrée des plus efficaces » se réjouit le Pr Pouliquen, alors aux premières loges. « Et la chirurgie de la cataracte en est sans doute l’une des plus emblématiques. Elle consiste à ôter un cristallin opaque et à restituer la vision. Et si aujourd’hui c’est l’acte le plus répandu, cela n’a pas toujours été le cas. »
C’est en 1748 que fut réalisée, par l’ophtalmologiste français Jacques Daviel, la première opération de la cataracte par extraction du cristallin alors que jusqu’alors il était abaissé dans l’œil libérant la pupille et n’étant pas extrait de celui-ci. Il fallut tout le XIXè siècle pour que la méthode d’extraction évolue. Et ce n’est qu’en 1975 qu’un Américain, Charles Kelman invente un procédé – moins agressif – permettant de substituer à une large incision une ouverture de l’œil plus limitée, de 2 à 3 millimètres seulement permettant d’agir sur le cristallin. Voilà qui permet d’introduire dans l’œil une sonde à ultrasons. Le cristallin est alors fragmenté puis aspiré. Un implant est ensuite introduit. C’est ce que l’on appelle la phacoémulsification.
« Bien entendu, à l’époque, les incidents liés aux implants et à la manière d’implanter ne sont pas rares » concède Yves Pouliquen. « Mais depuis, la technique a considérablement évolué. Les implants, rigides à l’origine sont désormais la plupart du temps souples donc pliables et adaptés aux courtes incisions. L’intervention dure aujourd’hui de 20 à 30 minutes, en ambulatoire, sans sutures… L’agression opératoire est réduite au minimum. Nous restituons une fonction normale à l’œil… et de façon quasi-immédiate ! Un petit miracle !»
On est donc loin de l’important traumatisme infligé à l’œil autrefois, de la longue hospitalisation imposée au patient et de la qualité médiocre de la vision obtenue … Aujourd’hui l’opération est devenue routinière « sans être toutefois dépourvue de certains aléas ». Chaque année en France, plus de 600 000 cataractes sont ainsi traitées.
La chirurgie de la rétine, « d’approximative à remarquable »
Une autre affection, le décollement de la rétine, a vu au cours des trente dernières années son pronostic se transformer. Affection redoutée autrefois, elle trouve désormais des solutions très rassurantes. Relativement rare, ce décollement peut survenir chez quiconque mais plus généralement parmi les myopes. La raison en est la survenue d’une déchirure rétinienne d’origine diverse conduisant à l’accumulation entre les feuillets rétiniens de liquide provoquant ce décollement. Des symptômes en signalent l’apparition : voile soudain, éclairs zébrant le champ visuel. Le risque, sans intervention rapide est de perdre toute vision de cet œil. « J’ai connu une époque où la chirurgie rétinienne était véritablement barbare » se souvient notre spécialiste. « Pourtant, c’était il n’y a pas si longtemps. Le pourcentage de réussite était alors très médiocre. Et beaucoup d’yeux devenaient aveugles ». Ces trente dernières années furent celles d’un progrès technique considérable – comme les lasers… – qui conduit désormais à la réapplication de la rétine dans 95% des cas. Il a conduit à substituer aux méthodes qui agissaient sur l’enveloppe de l’œil, des méthodes endoculaires (à l’intérieur du globe oculaire) très fines et particulièrement sélectives.
La chirurgie réfractive, de la fiction à la réalité
Voilà une technique qui, il y a encore quelques années relevait de la science fiction. La chirurgie réfractive permet en effet de corriger les défauts de vision des patients atteints de myopie, d’hypermétropie, d’astigmatisme ou de presbytie.
Elle a été initiée dans les années 1970 par « un audacieux chirurgien » russe, Svyatoslav Fyodorov. Ce dernier a repris une idée vieille d’un siècle qui avait montré qu’en incisant la cornée et ainsi en l’aplatissant, on corrigeait la myopie. « A l’époque, il en avait fait une démonstration spectaculaire opérant à la chaîne, réalisant 8 incisions, puis 6 sur la cornée avec des succès… pas toujours au rendez-vous. Mais ce sont des chercheurs américains qui ont repris cette idée et en ont démontré les avantages et les limites. Les lasers sont nés et ont par la suite modifié considérablement les méthodes de cette chirurgie réfractive. Aujourd’hui, la technique d’intervention la plus répandue est le LASIK (pour Laser Assisted Intrastromal Keratomileusis – ndlr). » Cette dernière consiste en un remodelage en profondeur de la courbure cornéenne à l’aide d’un laser. Les interventions sont réalisées sous anesthésie locale. « C’est une chirurgie de confort très efficace et précise » constate Yves Pouliquen. « Mais elle est assimilable à la chirurgie esthétique car volontairement souhaitée alors que d’autres solutions de qualité existent comme les lunettes et les lentilles.»
Bien entendu tous ces progrès ne sont que la partie émergée de l’ophtalmologie. « Nous pourrions y passer des heures » s’amuse l’intarissable Yves Pouliquen. « J’aurais pu vous parler de la prise en charge de la rétinopathie diabétique combinant l’usage du laser et de la chirurgie. Ce qui permet de conserver une vision utile chez des patients condamnés à la cécité. J’aurais pu vous parler des greffes de cornée. Du vieillissement de la population qui nous a contraints à nous pencher sur de nouvelles pathologies comme la Dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Et bien entendu des progrès des lunettes qui ont gagné en confort et en esthétisme. Ou encore les lentilles de contact, toujours plus souples, plus fines… »
Et quand on lui pose la question des prochains défis, le Pr Pouliquen pense aux moyens de rendre la vue et s’interroge lui-même : « Les techniques très sophistiquées et la maîtrise des cellules souches capables de reconstituer les tissus altérés de l’œil, créeront sans aucun doute dans un avenir assez proche, les conditions d’un retour à une vision, fut-elle minime chez des aveugles jusque là condamnés à une cécité définitive ».
Le Pr Yves Pouliquen est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés (entre autre) à l’ophtalmologie. Citons, la « Transparence de l’œil », « Les yeux de l’autre » ou encore « Lunettes ou laser ? Choisir sa vision » tous aux éditions Odile Jacob.
Il est aussi l’auteur d’une biographie de « Jacques Daviel, un oculiste au siècle des Lumières », d’une « Madame de Sévigné et la médecine du grand siècle » Aux mêmes éditions.
Ecrit par : Vincent Roche – Edité par : Emmanuel Ducreuzet