Pourquoi est-on gaucher ou droitier ?

09 septembre 2024

Depuis la nuit des temps, dans toutes les civilisations et à toutes les époques, la proportion d'individus gauchers reste constante, à 10 % environ de la population. Mais que signifie être gaucher ou droitier ? Quelles sont les explications actuelles ? Les éclaircissements du Pr Mickaël Dinomais, chef de service de médecine physique (CHU Angers).

Qu’est-ce que signifie réellement être gaucher ou droitier ?

Pr Mickaël Dinomais : Si l’on s’intéresse à la manière dont on utilise nos mains, beaucoup de gens diront spontanément : « Je suis gaucher » ou « Je suis droitier ». Cependant, si on leur demande avec quel pied ils frappent un ballon, ils réalisent parfois qu’ils n’utilisent pas le même côté que pour écrire. C’est ce qu’on appelle la latéralité : cela désigne l’usage préférentiel d’un côté du corps par rapport à l’autre. En pratique courante, lorsqu’une personne se dit droitière, on suppose généralement qu’elle écrit de la main droite. Vous l’aurez compris, cette distinction n’est pas aussi simple car il existe des personnes très gauchères ou très droitières, mais cela dépend souvent de l’activité. Par exemple, une personne peut écrire de la main droite et couper sa viande de la main gauche, etc. Il existe un continuum entre le gaucher et le droitier. Pour mesurer ce phénomène, on peut utiliser des tests comme celui d’Edinburgh.

Cette complexité doit rendre les recherches plus difficiles ?

Effectivement. Ce qui nous intéresse le plus souvent, c’est de déterminer le niveau de latéralité d’une personne. Ce niveau peut être quantifié sur une échelle allant, par exemple, de +1 à -1. Un score de +1 indiquerait un droitier pur, tandis qu’un score de -1 représenterait un gaucher pur. Les personnes ayant un score proche de 0 sont ambidextres ou présentent une latéralité peu marquée. Pour simplifier et travailler sur ce sujet, on pose des questions plus directes, telles que : « Avec quelle main écrivez-vous ? ».

Que savons-nous en 2024 sur les facteurs qui influencent la latéralité ?

D’abord, la certitude principale est que l’on est droitier ou gaucher en raison du développement cérébral. Ce phénomène est influencé par plusieurs facteurs qui interagissent et se construisent ensemble. Le facteur génétique est indéniable. Si l’un des deux parents est gaucher, les chances que l’enfant le soit augmentent fortement. Si les deux parents le sont, cette probabilité est encore plus élevée.

Les facteurs environnementaux jouent également un rôle, en particulier en ce qui concerne la plasticité cérébrale. Celle-ci est influencée par les stimulations que le cerveau reçoit au cours de la vie, en particulier chez l’enfant. Par exemple, dans les années 1970, dans certains pays asiatiques, le nombre de gauchers était faible en raison de pressions sociales. Les enfants qui montraient une préférence pour la main gauche étaient contraints d’utiliser la main droite, ce qui les rendait droitiers. Je m’explique : si un enfant est contraint d’utiliser sa main droite, par exemple, cette pratique modèlera progressivement les circuits neuronaux, renforçant la dominance de l’hémisphère gauche, qui finira par prendre le dessus. Cette adaptation (« plasticité cérébrale ») démontre à quel point le cerveau est malléable, capable de se remodeler en réponse aux expériences et contraintes environnementales.

Donc si on est droitier, c’est notre hémisphère cérébral gauche qui prédomine ?

Oui, la « latéralité », c’est-à-dire le fait d’être gaucher ou droitier, est intrinsèquement lié au fait qu’un hémisphère cérébral domine l’autre. Dans environ 90 % des cas, l’hémisphère gauche (également responsable du langage) domine. Les droitiers ont ainsi une dominance de l’hémisphère gauche, tant pour la motricité que pour le langage. Pour les gauchers, c’est plutôt l’hémisphère droit qui domine.

En règle générale, un enfant n’est pas latéralisé au départ, c’est-à-dire qu’il utilise ses deux mains de manière naturelle et non préférentielle jusqu’à l’âge de trois ans. Il est donc inhabituel et préoccupant qu’un enfant avant cet âge montre une préférence marquée pour une main. Puis, entre quatre et six ans, le cerveau commence à se latéraliser, et une dominance de la main s’établit progressivement.

Pourquoi si tardivement ?

Ce processus de latéralisation est étroitement lié à la spécialisation du cerveau, en particulier en ce qui concerne le langage et la motricité. Il existe une co-construction entre ces deux domaines : la motricité contribue au développement cognitif, et inversement, le développement cognitif soutient et affine la motricité. Ainsi, une préférence marquée pour une main dès un très jeune âge peut indiquer la présence d’anomalies, telles qu’une paralysie cérébrale unilatérale ou un défaut de développement cérébral.

C’est d’ailleurs le sujet de vos recherches ?

Je m’intéresse aux effets d’une lésion cérébrale survenant tôt dans la vie de l’enfant – l’AVC néonatal – notamment sur sa motricité. Environ 30 % développent ensuite un handicap moteur appelé « paralysie cérébrale unilatérale ». Cependant, parmi les 70 % d’enfants qui ne présentent pas de déficits moteurs visibles, on observe une proportion de gauchers plus élevée que dans la population générale. Cela nous a amenés à formuler l’hypothèse que même une lésion cérébrale localisée peut provoquer une perturbation plus globale du développement cérébral, affectant ainsi la motricité. Cette perturbation pourrait expliquer pourquoi certains enfants deviennent gauchers en réponse à ces lésions.

Quelles sont les autres pistes à l’étude pouvant expliquer les différences entre gaucher et droitier ?

Une autre piste suggère que la latéralité pourrait être influencée par le taux d’hormones, notamment la testostérone, pendant la vie fœtale. Cette hormone jouerait un rôle dans la maturation du cerveau, en orientant son développement vers une dominance de l’un des deux hémisphères. D’autres hypothèses touchent au développement fœtal. Par exemple, la position du fœtus dans l’utérus pourrait influencer la préférence d’une main plutôt qu’une autre.

  • Source : Interview du Pr Mickaël Dinomais, chef de service de médecine physique (CHU Angers)

  • Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet

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