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L’avocate de Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos islamistes qui ont frappé Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015, a fait part, mardi 11 novembre sur Franceinfo, du souhait de son client d’entrer en contact avec les victimes des attentats. Salah Abdeslam est « une personne qui, potentiellement, aimerait pouvoir expliquer un peu la situation et, peut-être, discuter, ouvrir une porte aux parties civiles, si toutefois celles-ci le souhaitent, pour pouvoir évoquer la détention et évoquer ce procès (procès des attentats du 13-Novembre de septembre 2021 à juin 2022), a expliqué Olivia Ronan. (…) Ce sont vraiment des principes de justice restaurative, où les personnes qui sont mises en cause et les personnes qui ont été victimes des infractions arrivent à dépasser quelque chose pour essayer de viser un apaisement social. »
Selon l’avocate, certaines parties civiles seraient également prêtes à entrer en contact avec le terroriste condamné à la perpétuité incompressible. Ce qu’a confirmé sur Twitter Arthur Dénouveau, président de Life for Paris, association de victimes des attentats. « Quant à la justice restaurative, plusieurs victimes des attentats s’y intéressent, ce qui pourrait aboutir comme en Espagne ou en Italie à des rencontres en prison avec votre client », a-t-il écrit sur le réseau social.
Créer un espace de dialogue entre victimes et auteurs, pour permettre aux premiers de panser leurs plaies, aux seconds de prendre conscience des conséquences de leurs actes et préparer leur réinsertion, et à tous de rétablir un lien social. C’est ainsi que se caractérise, dans les grandes lignes, la justice restaurative, que l’on appelle également justice réparatrice. Mise en lumière en France en 2023, par le film de Jeanne Herry Je verrai toujours vos visages, la première expérimentation de justice restaurative a eu lieu en France en 2010, avec des rencontres détenus/victimes, organisée à la maison d’arrêt de Poissy. Son développement s’est ensuite accéléré avec la loi relative à l’individualisation des peines, adoptée en 2014 et mise en œuvre depuis 2017.
Présentée comme une « pratique complémentaire au traitement pénal de l’infraction », elle repose sur plusieurs principes, détaillés par le ministère de la Justice : « la reconnaissance des faits ; l’information des participants et leur consentement pour participer ; la présence obligatoire d’un tiers indépendant et formé sur ces mesures ; le contrôle de l’autorité judiciaire ; la confidentialité des échanges ».
Dans les faits, même si toute personne victime d’infraction peut demander à en bénéficier, la mesure, complémentaire à la justice pénale, est relativement peu utilisée : sur son site, l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR), organisation dédiée à la promotion de la justice restaurative, évalue à 169 le nombre de mesures clôturées en France en 2024 ; 173 mesures étaient en cours.
Ces mesures peuvent prendre soit la forme de rencontres entre auteurs et victimes (pas concernés par la même affaire) en milieu ouvert ou fermé, par groupe de 3 à 6 personnes, soit la forme de médiations restauratives où auteur et victime d’une même infraction dialoguent directement ou indirectement, via l’échange de courriers, par exemple. La nature des crimes et délits va des violences volontaires aux violences sexuelles, en passant par les violences routières et les homicides et tentatives d’homicide.
En 2024, l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) a publié un rapport sur les pratiques et les effets de la justice réparatrice en France. L’étude de terrain, menée sur trois ans, a mis en évidence « les limites des évaluations a posteriori de ces dispositifs, en particulier sur l’évolution sur le long terme des effets ressentis par les participants, qui sembleraient globalement positifs mais relativement éphémères une fois ces derniers retournés à la vie normale », rapporte le CNRS, où travaille l’une des co-autrices.
Du côté des professionnels du milieu pénitentiaire, l’étude révèle un impact significativement positif. Ils « trouvent, grâce à ce dispositif, un sens renouvelé à leur métier, parfois décrit comme dénaturé par la rationalisation et la modernisation de l’activité judiciaire ». Le rapport pointait un dispositif prometteur, mais limité par la faiblesse des moyens matériels et humains alloués et reposant essentiellement sur l’initiative de personnels pénitentiaires et des bénévoles.
Dans son Enquête nationale sur la justice restaurative menée en 2021, l’IFJR livrait le témoignage de Yona, victimes de tentative d’homicide : « suite à tout ça, ma vie a complètement changé, je me sens beaucoup mieux. Avant je perdais mes cheveux, je ne bougeais plus, je ne mangeais plus, c’était l’horreur. Maintenant, je prends soin de moi, je m’habille, je me suis remise dans des formations diplômantes, j’ai recommencé à dormir. » Ou de Sandrine, victime de violences conjugales : « Ça m’a permis de m’exprimer et d’être plus sûre de moi, d’avoir plus de force. »
Pour une vision plus globale de l’efficacité de ces mesures pour les victimes, il faut donc se tourner vers les pays qui ont intégré ce type de dispositif depuis longtemps dans leur politique pénale, comme la Belgique ou le Canada. Dans leur article « Les bienfaits de la justice restaurative » paru en 2016 dans Thyma, revue francophone de victimologie, les professeurs de criminologie Catherine Rossi (Canada) et Robert Cario (également président de l’IFJR) mentionnent plusieurs travaux qui se sont intéressés aux effets de ces mesures : celles-ci « offriraient un taux de satisfaction des victimes de 80 à 97 %, contre seulement une moitié de personnes satisfaites dans des procédures judiciaires traditionnelles ».
Par ailleurs, « la réparation émotionnelle est le premier des bienfaits dont font état les victimes, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une situation qualifiée de grave », écrivent les auteurs. Cette réparation émotionnelle conduirait même, parfois, « à une réduction considérable des symptômes de stress post-traumatique chez les victimes, particulièrement en cas de rencontres en face-à-face ».
Les bénéfices de ces mesures s’étendraient enfin à la société tout entière, car « à grand renfort de méta-analyses, les auteurs ont réussi à prouver, au fil des années, que ce lien semble clair : la participation à un programme de justice restaurative permet une réduction nette des taux de récidive ». A condition toutefois, préviennent les auteurs, que les dialogues auteurs-victimes ne prennent jamais « des formes de rencontres improvisées, sans préparation, sans protocole et cadre, stricts et rigoureux », tout particulièrement en matière de crimes graves.
A noter : dans un mail adressé aux associations, consulté par plusieurs médias, le parquet national anti-terroriste exprime son projet de création d’un comité de pilotage sur l’application de la justice restaurative dans le champ du terrorisme, en association avec les collectifs de victimes. Objectif : « associer l’ensemble des parties prenantes à une réflexion aux fins d’initier, d’encadrer et de structurer des initiatives de justice restaurative en matière terroriste, conformément aux souhaits de certaines associations de victimes ou d’aide aux victimes en matière terroriste ».

Source : Ministère de la Justice - Institut français pour la justice restaurative – Revue Thyma – Franceinfo -Le Parisien - Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice - CNRS

Ecrit par : Charlotte David, mis à jour par Dorothée Duchemin – Edité par : Vincent Roche