Séisme au Maroc: « mettre en place, le plus tôt possible, la prise en charge psychologique »

15 septembre 2023

Vendredi 8 septembre, à 23h11, un puissant séisme a frappé le Maroc, réduisant certains villages du Haut Atlas en ruines. Meurtriers, destructeurs, les tremblements de terre laissent derrière eux de nombreuses victimes, polytraumatisées, souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique, souvent les deux en même temps. Comment prendre en charge ce nombre massif de blessés ? Comment mettre en place sans attendre l’accompagnement psychologique dont ils ont besoin ? Meguerditch Terzian, médecin humanitaire et pédiatre, directeur général de Mehad, ONG française de santé et solidarité internationale, nous répond.

Près de 3 000 personnes ont perdu la vie dans la catastrophe, plus de 5 000 ont été blessées. De quelles blessures souffrent les victimes de tremblements de terre ?

Dr. Meguerditch Terzian : La majorité des victimes présentent des fractures, souvent multiples ; des bras, des jambes, thoraciques, crâniennes. Nombre d’entre elles, notamment celles qui ont été ensevelies sous les décombres, sont victimes du « crush syndrome », le syndrome de l’écrasement (même si la victime est sauvée, une défaillance des organes peut alors survenir, c’est le syndrome de l’écrasement, ndlr). Chez ces patients survient dans les cas les plus graves une insuffisance rénale aigüe en 24 heures, 48 heures maximum.

Quelles autres spécificités concernent les victimes ensevelies, sauvées après un, deux, voire trois jours après la catastrophe ?

Les victimes qui restent plus longtemps sous les décombres sont davantage meurtries physiquement et psychologiquement que les autres patients. Ce sont des patients qui présentent le plus de risques de souffrir à vie d’un handicap, ce sont aussi les patients les plus à risque psychologiquement.

Une semaine après la catastrophe, quels sont les enjeux en termes de prise en charge médicale des victimes ?

La réadaptation physique des patients, polytraumatisés, est un bien sûr un défi pour les soignants. Au Maroc, les hôpitaux ont réussi en quelques heures à accueillir les blessés, ont pu organiser des transferts pour créer davantage d’espace et recevoir de nouveaux patients. La prise en charge immédiate des blessés a été bien gérée. Mais, je sais que les soignants sont très inquiets pour la suite. Comment organiser la réadaptation des patients, notamment avec la physiothérapie, et prendre en charge la santé mentale de la majorité des victimes ? C’est tout l’enjeu actuel.

Justement, qu’en est-il des séquelles psychologiques ?

La problématique, peut-être la plus grave, est que la majorité des survivants développeront des troubles dus au stress post-traumatique, quelques jours après la catastrophe. Ils ont vu la mort de très près. Ils sont traumatisés et présentent rapidement des troubles du sommeil, troubles du comportement, des troubles alimentaires (anorexie). Là, le travail des professionnels de santé est colossal : identifier les patients, organiser la prise en charge. Dans un tremblement de terre, la souffrance psychique des rescapés est la même que celle des personnes vivant en zone de conflit. Ils ont vu la mort en face, et dans notre pratique, c’est la même approche.

Combien de temps après la catastrophe surviennent les premiers signes de stress post-traumatique ?

Au départ, les victimes ne se rendent pas compte de ce qu’elles viennent de vivre. Après quelques jours, elles réalisent et les premiers troubles psychologiques commencent à se manifester. Les adultes, aussi traumatisés que les enfants, essaient de montrer aux plus jeunes qu’ils contrôlent la situation. Paradoxalement, on s’aperçoit que les adultes sont, de ce fait, davantage vulnérables que les enfants. De nombreux enfants présentent quant à eux des troubles du sommeil, qui impacteront leur vie plus tard, sans prise en charge adaptée. Les victimes de tremblements de terre présentent une souffrance psychologique, blessés ou non. Pour tous, il faudra un accompagnement psychologique au moins à moyen terme, le temps qu’ils reprennent leur activité et leur vie sociale.

Comment les blessures impactent la santé mentale des victimes ?

Un grand nombre de victimes souffre de fractures multiples. Celles-ci laisseront des séquelles qui altéreront profondément leur vie personnelle, sociale et professionnelle. Mes collègues marocains sont conscients qu’il faudra mettre en place le plus tôt possible la prise en charge liée à la santé mentale, mais aussi tout ce qui concerne la réadaptation physique des patients.

De quoi ont besoin les Marocains dans l’immédiat ?

Clairement, les soignants ont besoin de matériel et d’équipements pour la réadaptation physique comme des barres, des vélos… et bien sûr du personnel supplémentaire spécialisé dans la prise en charge en santé mentale des patients.

A noter : l’OMS identifie quatre pics de décès dans les séismes. L’effondrement des bâtiments dans un premier temps. Un second pic résulte des blessures par écrasement. « Jusqu’à 20 % des victimes peuvent souffrir de blessures par écrasement dues au fait d’avoir été piégées sous les décombres », note l’OMS. Et si une personne est sauvée des décombres, elle peut ensuite être victime du « syndrome d’écrasement ». Un troisième pic survient quelques semaines plus tard, les personnes atteintes de septicémie et de défaillance multiviscérale meurent des suites de leurs blessures. « Outre celles qui ont subi des traumatismes, de nombreuses personnes qui souffrent de maladies chroniques telles que le diabète et les maladies cardiaques sont confrontées à un risque plus élevé de décès en raison de l’interruption de la fourniture de médicaments et de soins cruciaux, ce qui constitue la quatrième vague », conclut l’OMS.

  • Source : Interview de Meguerditch Terzian, médecin humanitaire et pédiatre, directeur général de Mehad – OMS, bureau régional de la Méditerranée orientale

  • Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet

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