Syndrome du voyageur : quand les touristes perdent pied
09 août 2023
On l’appelle le syndrome du voyageur. Il s’agit d’un trouble psychique que certaines personnes rencontrent lors d’un voyage qui les dépayse, les émerveille ou les déçoit beaucoup trop. Au point de susciter chez elles un véritable choc. Il s’agit d’une confrontation entre les fantasmes nourris autour d’une destination et la réalité. Épisodes psychotiques, hallucinations, délires, désorientation… Retour sur ces troubles qui frappent les voyageurs.
Syndrome de l’Inde
L’Inde reste une destination prisée des voyageurs en quête de spiritualité. Le psychiatre Régis Airault, alors en poste au consulat de France à Bombay, a documenté ce syndrome dans un livre publié pour la première fois en 2000, Fous de l’Inde (éd. Payot). Le médecin décrit les cas de nombreux occidentaux, qui, sans antécédent psychiatrique ni prise de drogue, voient leur identité vaciller. En terme médical, ils décompensent. « Il faut accepter que l’Inde ne soit pas formatée à notre idée. Quand on se promène en Inde, il arrive des choses qu’on n’a même pas imaginées. A partir du moment où la personne est trop rigide, où elle bloque, il y a un vrai risque de voir apparaître des troubles psychiatriques ou psychotiques », expliquait-il en 2014 au micro de France Culture.
Omniprésence de la mort, de la spiritualité, odeurs, foule dense, chaleur, codes sociaux totalement différents de ceux des Occidentaux… Le syndrome indien est souvent présenté comme l’archétype du syndrome du voyageur.
Syndrome de Jérusalem
Jérusalem, ville sainte des trois religions monothéistes, peut être source de nombreux fantasmes chez des personnes religieuses. Le syndrome de Jérusalem a été décrit pour la première fois par le psychiatre Yaïr Bar-El et concerne l’observation de pèlerins ou de touristes, de 1980 à 1993. La majorité des cas étudiés présentait une affection psychiatrique connue. 10 % d’entre eux n’avaient aucun antécédent psychiatrique. Chez eux, « les premiers symptômes surviennent le lendemain de l’arrivée dans la ville sainte et se manifestent par une anxiété soudaine, un besoin de s’isoler, de pratiquer les rites de purification, de revêtir des tuniques blanches ou d’habits leur permettant de s’identifier à des héros bibliques. Ils éprouvent le besoin de chanter des psaumes, parfois de crier, ce qui alerte le personnel de l’hôtel ou leurs proches. Certains prononcent des sermons confus dans des lieux saints. Ils ne se laissent pas détourner de leur ‘mission’ », détaille la Revue médicale Suisse. Comme les autres syndromes du voyageurs, le syndrome de Jérusalem est passager et ne dure que quelques jours.
Syndrome de Paris
C’est le syndrome des voyageurs qui ont sublimé la ville lumière, fantasmé la cité la plus belle du monde. Des voyageurs qui se retrouvent confrontés à la saleté des rues, l’odeur du métro, la mauvaise humeur des Parisiens, un décalage culturel inattendu. Ce syndrome frappe surtout les Japonais, qui idéalisent Paris comme l’archétype de la culture. C’est un mythe qui s’effondre et laisse les touristes sous le choc.
Selon une étude de 2004, 63 patients japonais avaient été hospitalisés à l’hôpital Sainte-Anne dans le cadre d’une coopération avec l’ambassade du Japon à Paris, entre 1988 et 2004. Selon cette étude, les patients admis souffraient alors de troubles du comportement, des bouffées délirantes, d’angoisse majeure.
Syndrome de Stendhal
Il s’agit cette fois d’un choc esthétique, l’art qui rend fou les voyageurs. Celui-ci se trouve alors totalement submergé par le sublime auquel il est confronté.
En voyage à Florence, face à des œuvres d’art en si grand nombre, si célèbres, si parfaites, si émouvantes, Stendhal a vacillé et écrivait ceci dans ses Carnets de voyage en 1817. « J’étais déjà dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.»
La psychiatre Graziella Magherini a été la première à décrire ce syndrome en 1979. Alors en poste à l’hôpital central de Florence, berceau de la Renaissance, elle observe une centaine de cas similaires. La crise a lieu le plus souvent dans l’un des 50 musées de la ville, encore plus spécifiquement devant le David de Michel-Ange. Vertiges, hallucinations, perte du sens de l’orientation, évanouissements… peuvent alors se manifester.
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Source : La Revue Médicale Suisse – L’imaginaire persistant du voyage initiatique, lInde qui rend fou, France Culture, septembre 2014 – Cairn.info, le syndrome de Stendhal, Richard Trèves – Les Japonais en voyage pathologique à Paris, un modèle original de prise en charge transculturelle, revue Nervure, journal de psychiatrie, 2004
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Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet