Viol, inceste… Qu’est-ce que l’amnésie traumatique ?
03 novembre 2021
L’amnésie traumatique est fréquemment mise en lumière, notamment en lien avec les cas de violences sexuelles récemment dénoncés dans les milieux artistiques, politiques, intrafamiliales et religieux. Le cerveau est-il vraiment capable d’oublier des souvenirs traumatisants ? Éclairage avec le Dr Olivier Dodier, enseigneur chercher en psychologie cognitive à l’Université de Nîmes.
Pour la psychiatre Muriel Salmona, l’amnésie traumatique se définit comme « un mécanisme dissociatif de sauvegarde que le cerveau déclenche pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences ». Selon son postulat, quand l’amnésie se lève, « les souvenirs traumatiques reviennent le plus souvent de manière très brutale et envahissante sous la forme (…) de flash-backs, cauchemars, faisant revivre les violences à l’identique avec la même détresse et les mêmes sensations ». Pour ces raisons, l’amnésie traumatique est classée depuis 2015 dans le DSM-5, manuel de l’Association américaine de psychiatrie. Pour autant, l’existence à proprement parler de l’amnésie traumatique fait débat.
Destination Santé : Quelle est votre position sur le sujet ?
Olivier Dodier : à mon sens, il n’existe pas de preuve formelle de la reconnaissance de l’amnésie traumatique. La science n’a, à ce jour, jamais prouvé que le cerveau possédait une zone au sein de laquelle les souvenirs pouvaient être enfouis.
Mais les victimes ne mentent pas pour autant sur le teneur de leurs souvenirs traumatiques, qui, un jour, refont surface ?
Non, on peut en effet se retrouver en face de personnes qui pourront ne pas se remémorer certains faits, puis tout à coup, s’en souvenir. Ce que l’on ne peut pas décrire c’est le mécanisme qui se cache derrière ce processus. On ne peut pas entrer dans la tête des gens pour observer physiquement une telle amnésie. On ne peut pas établir de cause entre le traumatisme et l’oubli des faits. L’existence de l’amnésie traumatique relève donc du purement hypothétique. La plupart des victimes se souviennent d’ailleurs très bien des événements traumatiques vécus : les souvenirs sont souvent envahissants.
Dans nos cerveaux, pour quelles raisons certains souvenirs peuvent-ils alors être perçus comme oubliés, mis de côté ?
Certaines personnes très jeunes au moment des faits n’ont pas pu percevoir donc vivre l’acte comme un traumatisme : le souvenir s’est intégré comme quelque chose de bizarre mais pas forcément sorti de l’ordinaire. Ces souvenirs de l’enfance s’évaporent rapidement et dans une situation similaire à l’âge adulte, le souvenir va revenir dans sa mémoire et prendre un autre sens, plus violent. Mais il ne s’agit pas d’une amnésie.
Autre point, le stress et les émotions peuvent empêcher la personne à bien créer le souvenir et à le récupérer de façon complète. Certaines personnes parfois, ne veulent pas parler de leur traumatisme, et se taire peut être associé à l’amnésie si d’un coup les victimes se décident à parler. Dans d’autres cas, les gens ont révélé les faits rapidement après l’exposition au traumatisme, et oublient qu’ils en ont parlé. Quand ils se souviennent des faits plus tard, ils n’ont pas en mémoire qu’ils se sont déjà confiés et c’est comme si le sujet n’avait jamais existé jusqu’ici. Enfin, les effets de l’alcool et des drogues peuvent aussi créer des trous dans la mémoire, sans générer d’amnésie.
Mais le traumatisme fait parfois parler le corps : perturbations du sommeil, troubles du comportements alimentaires, crises d’angoisse…
La théorie du corps qui n’oublie rien est aussi, d’un point de vue scientifique, non démontrée parce qu’on ne sait pas s’il s’agit de coïncidences. Si la personne souffre de troubles chroniques (maux de tête, mal de ventre…) et qu’elle retrouve un souvenir, la relation est vite faite. Sauf que dans les faits on ne peut pas le prouver.
Pourquoi en cas de situations choquantes (agressions verbales, physiques, sexuelles…), certaines victimes ont la sensation de flou après les faits ? Comme s’il leur manquait des bribes de la scène passée.
Pendant l’évènement traumatique, il y a beaucoup trop d’éléments pour que le cerveau puisse tout traiter. L’attention va donc être captée par ce qui nous permet de comprendre l’événement, en se focalisant sur le facteur de stress, pour pouvoir mettre en place une stratégie de régulation face à cette forte émotion anxiogène. Dans une moindre mesure, c’est d’ailleurs ce que font les personnes anxieuses qui, au-delà de tout traumatisme, vont anticiper sans cesse le danger et développer en réponse de l’anxiété. Dans le cas d’une situation traumatique, si le stress continue d’augmenter, si les scènes se répètent, là il existe un danger pour l’organisme. La victime entre en alerte, dans une phase d’hypervigilance chronique, capte très vite les informations et met en place des stratégies d’évitement typiques des troubles de stress post-traumatique, en évitant de parler des choses. Ce qui ne fait qu’aggraver le traumatisme. Dans le cadre d’un traumatisme, la prise en charge en urgence est donc très importante pour éviter que l’aspect envahissant s’installe.
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Source : Interview du Dr Olivier Dodier, enseigneur chercher en psychologie cognitive à l’Université de Nîmes, le 19 octobre 2021 - Victimologie (2018). Chapitre 7. L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre. Muriel Salmona.
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Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Emmanuel Ducreuzet