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Qu’est-ce qui au tout début, déclenche la maladie d’Alzheimer ? Une équipe de chercheurs de la Harvard Medical School a peut-être trouvé la réponse à cette question qui taraude les neuroscientifiques du monde entier depuis des décennies. Le lithium. Une carence dans le cerveau pourrait être la clé.
Près de 400 millions de personnes souffrent de la maladie d’Alzheimer, première maladie neurodégénérative dans le monde, représentant 60 à 80 % des cas de démence. Celle-ci implique un ensemble d’anomalies cérébrales : une accumulation de protéine bêta-amyloïdes, des enchevêtrements neurofibrillaires de la protéine Tau et, moins connu, le déclin d’une protéine protectrice appelée REST. Mais le début de l’histoire n’est toujours pas compris.
De précédentes études avaient révélé des concentrations en métaux anomaux chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Partant de ce constat, les chercheurs ont comparé les concentrations de 27 métaux dans les cerveaux de personnes âgées sans trouble cognitif à celle de personnes présentant des troubles. Le laboratoire s’est associé au Rush Memory and Aging Project de Chicago, qui dispose d’une banque de tissus cérébraux post-mortem, représentant tout le spectre de la santé cognitive de personnes en pleine forme mentale à celles atteintes d’un Alzheimer avancé.
Première découverte : « c’est la première fois qu’on prouve que le lithium existe naturellement à un niveau biologiquement utile, sans être administré sous forme de médicament », explique Bruce Yankner, professeur de génétique et de neurologie, dans un communiqué de l’université de Harvard.
Deuxième découverte : le lithium présentait des concentrations cérébrales significativement basses chez les personnes diagnostiquées d’Alzheimer mais aussi chez celles présentant des troubles cognitifs légers. Chez les malades d’Alzheimer, la quantité de lithium était moindre dans les zones proches des dépôts d’amyloïdes. Même chose chez des souris génétiquement modifiées pour développer la maladie d’Alzheimer. « Cette découverte a confirmé que l’amyloïde capte le lithium des tissus environnants et le séquestre », lit-on dans un article de la revue Nature, où la présente étude a été publiée, mercredi 6 août. Ainsi piégé, le lithium n’est plus absorbé par le cerveau et ne pourrait plus y remplir ses fonctions protectrices.
Des souris en bonne santé et des souris modèles de la maladie d’Alzheimer ont alors suivi un régime pauvre en lithium. Chez les premières, les niveaux de lithium ont chuté jusqu’à des taux similaires à ceux observés chez les patients atteints d’Alzheimer. Cela a accéléré le vieillissement, provoquant de l’inflammation dans le cerveau, la perte de connexions entre les neurones, et un déclin cognitif.
Chez les modèles, cette baisse de lithium a considérablement accéléré la formation de plaques amyloïdes et de structures similaires aux enchevêtrements neurofibrillaires. Elle a aussi activé les cellules immunitaires du cerveau (les microglies), réduisant leur capacité à éliminer l’amyloïde et accélérer la perte de mémoire.
Pourquoi la carence en lithium provoque ces effets ? Les chercheurs sont incapables pour l’heure de répondre à cette question. Mais ils ont émis l’hypothèse qu’un autre type de lithium pourrait ne pas être piégé par les plaques d’amyloïdes. Ils ont alors tenté leur chance sur les souris avec différents sels de lithium. L’un d’eux, l’orotate de lithium, a permis d’inverser les dommages liés à la maladie d’Alzheimer ; l’accumulation des bêta-amyloïdes et de la protéine Tau, l’apparition des troubles cognitifs et des signes d’inflammation. Et ce même chez les souris âgées à un stade avancé de la maladie. Il a aussi permis aux cellules immunitaires du cerveau, dont les capacités diminuent avec l’âge, de retrouver leur aptitude à dégrader l’amyloïde-β.
Testé chez des souris non génétiquement modifiées, l’orotate de lithium a permis de prévenir le déclin des capacités d’apprentissage et de mémoire, déclin lié à une perte de l’architecture neuronale, normale chez les personnes âgées.
« Ce qui m’impressionne le plus, c’est l’effet généralisé du lithium sur les différentes manifestations de la maladie d’Alzheimer. Je n’ai jamais rien observé de tel depuis que je travaille sur cette maladie », poursuit Bruce Yankner.
Ces résultats doivent encore être confirmés chez l’homme mais ils suggèrent que la mesure des taux de lithium pourrait contribuer au dépistage précoce de la maladie d’Alzheimer. Quant à l’orotate de lithium, il pourrait lui être utilisé à des thérapeutiques ou préventives.
Le lithium est aujourd’hui utilisé comme traitement des troubles bipolaires et les troubles dépressifs majeurs. Administré à des doses élevées, il est potentiellement toxique, notamment pour les reins et la thyroïde, chez des personnes vulnérables comme les personnes âgées. Mais les doses nécessaires pour rétablir le niveau normal de lithium dans le cerveau sont infiniment plus petites. Et les souris traitées au lithium pour ces expériences n’ont présenté aucun signe de toxicité.
« Des effets très puissants ont été observés avec une dose extrêmement faible », a déclaré Yankner avant d’ajouter : « j’espère que le lithium pourra faire quelque chose de plus fondamental que les thérapies anti-amyloïde ou anti-Tau — non seulement réduire le déclin cognitif, mais aussi l’inverser, et ainsi améliorer la vie des patients ». Les traitements actuellement disponibles n’ont effectivement que des effets très modestes sur la progression de la maladie avec de lourds effets secondaires.
Source : Université de Harvard, Aron, L., Ngian, Z.K., Qiu, C. et al. Lithium deficiency and the onset of Alzheimer’s disease. Nature (2025). https://doi.org/10.1038/s41586-025-09335-x
Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet