Amiens : des consultations pour établir le lien entre pathologies pédiatriques et pesticides

26 janvier 2024

Plusieurs pathologies pédiatriques pourraient être liées à l’exposition aux pesticides des parents avant ou durant la grossesse. Au CHU d’Amiens, une consultation a été ouverte afin de mener des expertises et permettre aux familles d’être indemnisées par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides.

Une consultation « Pesticides et pathologies pédiatriques », unique en France, a ouvert le 1er octobre 2023 au CHU Amiens-Picardie (Somme), sous la houlette du centre régionale des pathologies professionnels et environnementales des Hauts-de-France (CRPPE). A la manœuvre, le Dr. Sylvain Chamot, responsable des consultations et la Pr. Elodie Haraux, urologue pédiatrique, tous deux membres du laboratoire Peritox (études des risques toxiques autour de la périnatalité).

L’idée de cette consultation, dans une des régions où le recours aux traitements phytosanitaires des sols figure parmi les plus importants de France, est née dès lors qu’il a été possible de la mettre en œuvre. « C’était en 2020, à la création du Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides, une première dans le monde. Celui-ci s’adresse aux professionnels exposés aux pesticides mais ce fonds comporte aussi un volet pédiatrique pour les enfants exposés in utero », explique le Dr. Chamot. Ce fonds a été mis en place afin « de garantir la réparation forfaitaire des dommages subis par l’ensemble des personnes concernées dont la maladie est liée à une exposition professionnelle aux pesticides », précise le site Internet du fonds.

Cette consultation vise donc à établir un lien entre l’exposition professionnelle des parents aux pesticides et la pathologie de l’enfant. Actuellement, quatre pathologies sont ciblées : deux malformations congénitales, l’hypospadias (une malformation du pénis) et la fente labio-palatine (connue sous le nom de becs de lièvre), les tumeurs cérébrales et les leucémies. Certains troubles neurodéveloppementaux seront également bientôt concernés.

L’exposition du père, une recherche récente

Concrètement, les médecins du CHU qui suivent les petits patients informent les parents qu’une consultation existe pour déterminer si leur pathologie est liée à l’exposition aux pesticides. Si les parents le souhaitent, ils remplissent un questionnaire, l’un concernant la mère, l’autre concernant le père. S’il est établi qu’il y a eu une exposition professionnelle d’un ou des parents avant ou durant la grossesse, l’enfant est reçu en consultation. Ce qui pourra ouvrir la voie à une demande indemnisation. « En termes de temporalité, on a retenu les critères suivants : une exposition aux pesticides durant la grossesse pour la mère et 6 mois avant la grossesse pour le père », note Sylvain Chamot.

S’interroger sur le rôle du père, son exposition aux pesticides, est une préoccupation assez récente en France. « Epidémiologiquement, on observe des associations, mais on n’a pas encore les explications physiologiques sur les mécanismes concrètement à l’œuvre. Alors que pour la mère, on a largement documenté le rôle du placenta dans les transmissions au foetus », pointe le médecin.

Quant aux molécules mises en cause, elles sont pour l’heure difficiles à déterminer. « Il s’agit à ce stade d’exposition globale. On ne dispose pas en France de données suffisamment poussées pour mener une étude épidémiologique sur les pesticides incriminés », ajoute-t-il.

Une centaine d’enfants concernés

Des enfants malades à cause de la profession de leurs parents. Le sujet est très sensible et nécessite un accompagnement bienveillant et empathique de ces familles. « Ils se sentent déjà coupables de la maladie de leur enfant alors, leur dire qu’elle est liée à leur profession, c’est très dur. Mais on veut vraiment les déculpabiliser et les soulager en leur donnant des informations très précises », ajoute la Pr. Elodie Haraux. Depuis janvier, Sylvain Chamot constate une montée en puissance de la consultation, « on nous dépose les questionnaires tous les jours ». Dans la région, une centaine d’enfants pourraient être concernés selon lui.

Actuellement le Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides ne prend en charge que les expositions professionnelles. Sont concernés en premier lieu les exploitants agricoles mais aussi toutes les professions qui impliquent l’entretien des espaces verts, le contact avec du bois traité… Le fonds ne devrait-il pas également être ouvert aux patients exposés aux pesticides via leur lieu d’habitation ? « Actuellement, selon la littérature, le lien entre l’apparition de ces maladies et l’exposition environnementale est beaucoup plus difficile à établir que pour l’exposition professionnelle », appuie le médecin. « Et il faut bien comprendre que ces maladies et malformations ont probablement plusieurs causes, dont l’environnement. Pour nous, ce qui compte grâce à ce fonds, c’est qu’on a désormais une réponse à donner aux patients : l’exposition professionnelle est un facteur de risque et il doit être reconnu. C’est une vraie avancée », complète Elodie Haraux. Cette première consultation devrait faire des émules ; nos interlocuteurs ont d’ores et déjà été contactés par les CRPPE d’autres régions.

« Je vois ce fonds comme une dette que la société a envers les agriculteurs. Ce n’est pas eux les responsables des conséquences des pesticides, c’est la société et notre façon de consommer qui sont les responsables. Cela s’apparente au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (désormais interdit, ndlr) », illustre le Dr. Chamot. En France et dans l’Union européenne, la réduction de l’usage des pesticides demeure un débat très épineux, difficile à mettre en oeuvre.

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