Bioéthique : l’accès à l’AMP pour toutes débattu à Nantes

05 mars 2018

Musclé dans la forme, très engagé dans le fond ! Voilà le ton des propos tenus par les quelques Nantais qui ont pris la parole le 21 février au soir autour d’un sujet polémique. Celui de l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour les femmes seules et aux couples de femmes en France. Une question débattue à l’occasion des Etats généraux de la bioéthique, lancés à la mi-janvier.

Les conditions d’accès à l’AMP doivent-elle être élargies aux femmes seules et aux couples de femmes en France ? Voici la question centrale du débat citoyen organisé le 21 février à Nantes par l’Espace de réflexion éthique Pays de la Loire (Erepl). Sensible et parfois même épidermique, ce sujet à la croisée entre le médical et la morale est débattu à l’occasion des Etats généraux de la bioéthique. Une série d’échanges publics* menée à l’échelle nationale jusqu’à la fin du mois d’avril pour alimenter la révision de la loi de bioéthique de 2011, prévue pour l’automne 2018.

Sur le plan démocratique, la démarche est novatrice et louable ! Et preuve du caractère sociétal de cette question, la tension est montée crescendo ce 21 février au soir, au sein de la salle des Manufactures à Nantes. Dans la grande majorité, des positions engagées voire très tranchées se sont faîtes entendre.

Indispensable pédagogie

Pendant la première heure, 3 spécialistes posent les jalons du sujet : le Pr Paul Barrière, responsable du centre AMP au CHU de Nantes, Magalie Bouteille-Brigant, maître de conférences en droit privé au Mans et Aurélien Dutier, philosophe. Tour à tour, chacun pose le contexte : à ce jour, la technique de procréation de l’AMP est réservée aux couples hétérosexuels en cas d’infertilité. Autres points abordés, les différentes techniques d’AMP proposées aux couples nourrissant un projet d’enfant.

Dans le même temps, les intervenants ont présenté les contours d’une éventuelle levée de certains critères : l’ouverture de l’AMP à toutes les femmes mais aussi la gratuité du don, et le droit à l’autoconservation d’ovocytes pour raison sociétale. L’autorisation de la gestation pour autrui (GPA), elle, n’était pas au programme.

La technique médicale aide à concevoir un enfant, mais pour certains cette évolution est contre-nature. Quelle position adopter alors ? Et que peut faire la loi ? « Est-ce que légiférer sur ces questions revient à considérer la protection juridique des parents et des enfants ? ». Ces questions se posent au sein d’une France en pleine mutation : « depuis la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le pays a vu les conditions de sa filiation modifiées », décrit Magalie Bouteille-Brigant. Et dans cette même France, « les couples en mal d’enfants sont toujours à la recherche de la technique la plus permissive pour trouver une solution à l’impossible fécondation spontanée ».

Inévitables confrontations

Après les experts, place à la parole des citoyens. Immédiatement, les règles sont données par le journaliste animant le débat. « Ni spectacle, ni tribune ! », le ton est donné : ne pas dériver en s’exprimant sur ce sujet à moultes tiroirs pour faire avancer le débat, et éviter les applaudissements pour ne pas entraver la qualité d’écoute.

Aucun applaudissement ne résonne, mais dans la majorité des cas, l’émotion, l’engagement et le vécu de chacun prennent le dessus. Et le contraste est net. Pendant un peu plus d’une heure, les propos se suivent mais ne se ressemblent pas.

Du côté des personnes opposées à l’ouverture de l’AMP pour toutes, le déséquilibre psychique d’un enfant sans père est dénoncé à plusieurs reprises. Ce propos interpelle un jeune homme dans la salle qui ne connait pas son père biologique, « mais qui va très bien ». L’élargissement de l’AMP est ensuite associé à « une délinquance de la procréation ». « Nous assistons à une déliquescence de la famille », « les dérives transforment la société, elles me font peur, je ne souhaite pas que demain la France soit gouvernée par des psychologues qui prennent en charge nos enfants », « ce n’est pas parce que la technique permet des choses qu’il faut tout autoriser »… Face à ce dernier argument, le Pr Barrière rappelle la démarche d’accompagnement à la parentalité dans lequel l’AMP se place. Et répond « je fais pleurer des couples depuis 40 ans en leur annonçant que l’AMP n’a pas marché, je ne peux pas, non vraiment je ne peux pas entendre que mon métier est seulement technique.»

Le micro passe de mains et en mains et les voix fusent.  Du côté des pro-AMP pour toutes, la défense de la cause homosexuelle résonne très haut. Le ton monte. « Aujourd’hui, 60% des Français souhaitent une ouverture de l’AMP aux femmes lesbiennes, cette salle n’est pas représentative de la population ! », « l’homosexualité a longtemps été considérée comme une maladie psychiatrique. En étant exclus de l’accès à l’AMP, nous en payons encore les frais ». « Le simple fait de demander des études sur l’équilibre psychologique d’un enfant sans père est biaisé. L’ouverture de l’AMP à toutes ne devrait même pas faire débat ».

Suite à ce débat, l’Espace de réflexion éthique Pays de la Loire (Erepl) a reçu la Manif pour Tous et le groupe LGBTi et SOS Homophobie de Nantes. Et l’Erepl a jusqu’au début du mois d’avril pour déposer une synthèse de ce débat au Comité Consultation National d’Ethique (CCNE).

A noter : l’expression sur ces questions ne se limite pas au débat. Si vous souhaitez coucher sur le papier votre réflexion et faire connaître votre position, rendez-vous sur le site de la CCNE.

* diverses thématiques (intelligence artificielle, fin de vie…) font l’objet de débats citoyens

  • Source : Débat citoyen, « L’assistance médicale à la procréation (AMP) pour tou.te.s ? », à Nantes le 21 février 2018, organisé par l’Espace de réflexion éthique Pays de la Loire (Erepl).

  • Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

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