Cancers du sein, du poumon ou du pancréas : bientôt la fin de la classification par organe ?

02 février 2024

La classification des cancers repose sur l’organe touché par la tumeur. Mais, au vu des thérapies ciblées développées par la médecine de précision, cette classification n’a plus de sens. Dans la revue Nature, des chercheurs de l’Institut Gustave-Roussy plaident pour une nouvelle façon de classer les cancers, basée sur leur profil moléculaire.

En 2020, l’institut Gustave-Roussy, associé à l’Inserm, CentraleSupélec et l’université Paris-Saclay, lançait le Centre national de précision en oncologie, baptisé Institut Hospitalo-Universitaire Prism. Objectif : comprendre les mécanismes moléculaires en jeu pour chaque malade du cancer afin de mieux prévoir l’évolution de la maladie, en se basant sur des paramètres biologiques, moléculaires, immunologiques…

« A terme, l’IHU Prism ambitionne d’identifier les patients porteurs des formes les plus agressives d’un cancer dès le diagnostic pour anticiper de possibles résistances aux traitements et permettre aux patients d’accéder à l’innovation thérapeutique très en amont dans leur parcours de soin, avant les rechutes », explique le centre anticancer.

Les travaux menés dans le cadre du programme ont conduit les chercheurs à s’interroger sur le bien-fondé de la classification des cancers, par organe. Un patient reste, pour tous les acteurs de la chaîne du soin, atteint d’un cancer du foie, du rein ou du pancréas, même un cancer métastatique qui a pourtant colonisé d’autres organes. Dans un article paru jeudi 1er février dans la revue Nature, ils appellent à une nouvelle classification des cancers métastatiques, une classification biologique cette fois.

Une classification qui devient un frein

La chirurgie et la radiothérapie, les deux principaux traitements des cancers au 20eme siècle, se concentraient sur l’organe où se trouvait la tumeur. Ainsi les cancers étaient classés en fonction de l’organe touché ; poumon, sein, pancréas… Mais les chercheurs soulignent le décalage entre cette classification et les nouveaux traitements mis au point par l’oncologie de précision. « La classification qui fait autorité en oncologie, reposant sur l’organe dans lequel est apparu le cancer, ne correspond plus aux avancées thérapeutiques réalisées ces dernières années. Pire, elle est désormais parfois un frein qui empêche certains patients d’accéder à un traitement adapté. Plus de 80 ans après la création de la classification TNM par Pierre Denoix, ancien directeur général de Gustave Roussy, il est aujourd’hui crucial d’adopter une approche moléculaire des cancers métastatiques, en lien avec les avancées de la recherche », résume le Pr Fabrice Barlesi, directeur général de Gustave-Roussy.

Aujourd’hui, les traitements ciblés reposent sur le profilage moléculaire d’une tumeur, ses caractéristiques biologiques et immunitaires. Au sein du groupe d’un cancer d’organe, des variations moléculaires et biologiques coexistent. Pour un même organe, il peut y avoir une multitude de cancers, qui n’évoluent pas de la même façon parce que ces tumeurs n’ont pas le même profil biologique. Aujourd’hui, ce sont ces variations moléculaires qui conduisent à opter pour une thérapie ciblée plutôt qu’à une autre et non plus l’organe.

En pratique

Certains malades d’un cancer du poumon surexpriment la protéine HER2, un récepteur naturellement présent dans l’organisme impliqué dans la régulation de la prolifération des cellules. Dans certains cancers, le nombre de ces récepteurs HER2 augmente anormalement et favorise la croissance des cellules cancéreuses.

La surexpression de HER2 se retrouve dans 12 à 20 % des cancers du sein, mais aussi dans certains cancers du poumon ou cancers du rein. Des thérapies ciblées ont fait leur preuve dans le cancer du sein HER2 positif.  Des essais cliniques montrent que des patients atteints d’un cancer du poumon HER2 positif réagissent bien. Dans ce cas précis, c’est bien la caractéristique HER 2 positif qui doit conduire au choix du traitement et pas le fait qu’il s’agisse d’un cancer du poumon.

Une perte de chances pour des millions de patients

Une subtilité qui a son importance puisque selon les scientifiques du programme PRISM, la classification actuelle empêche des millions de patients d’accéder aux traitements innovants, n’étant pas dans le bon segment. Ainsi un traitement efficace a été autorisé en 2014 pour les cancers ovariens chez des femmes qui présentaient la même mutation génétique. Il a ensuite été autorisé en 2018 pour les cancers du sein et seulement en 2020, 6 ans après la première AMM, pour les cancers du pancréas et de la prostate. « Ces retards s’expliquent par la segmentation des essais cliniques, qui doivent démontrer leur efficacité par type d’organe d’origine du cancer », regrettent les scientifiques. « Les essais cliniques de phase III, qui permettent d’obtenir une autorisation de mise sur le marché, nécessitent un nombre important de patients et il peut être difficile de recruter un nombre suffisant de malades tous porteurs de la même spécificité biologique conjointe à une histologie dans un organe d’origine similaire pour atteindre une puissance statistique significative ».

Toutefois classifier les cancers selon leurs caractéristiques moléculaires nécessite de mettre à disposition des médecins des outils adaptés. « Pour permettre à tous les patients français d’y voir accès, nous sommes en train de déployer une plateforme industrielle de biopsie liquide qui permettra de dresser un profil génomique sur un panel de plus de 300 gènes à partir d’une simple prise de sang et ce quel que soit l’endroit où la personne est en traitement », assure le Pr. Fabrice Barlesi.  Ce profilage moléculaire constituerait une étape supplémentaire de l’oncologie de précision.

  • Source : Inserm - GustaveRoussy.fr - Forget lung, breast or prostate cancer: why tumour naming needs to change, The conventional way of classifying metastatic cancers according to their organ of origin is denying people access to drugs that could help them, par F. André, E. Rassy, A. Marabelle, S. Michiels, B. Besse  

  • Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet

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