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Les cancers sont dits « hormonodépendants » ou « hormonosensibles » lorsque les hormones jouent un rôle dans la prolifération des cellules cancéreuses. Ils se forment principalement dans les tissus dont les fonctions sont étroitement liées aux hormones. C’est le cas pour la très grande majorité des cancers de la prostate et une majorité de cancers du sein, certains cancers de l’endomètres, de la thyroïde ou encore de l’ovaire. Ainsi environ 20 % des cancers dans le monde seraient hormonodépendants.
Toutefois, une étude française menée par une équipe de l’Institut Curie, de l’Inserm et du CNRS vient bousculer ce qui était jusqu’ici admis. Leurs travaux, publiés mercredi 11 juin dans la revue Nature, montrent que plusieurs cancers (mélanome, cancer gastrique, cancer de la thyroïde…) non connus comme étant hormono-dépendants, s’aggraveraient sous l’influence des œstrogènes (hormones sexuelles féminines).
C’est notamment le cas du mélanome, bien plus fréquent chez les femmes de la puberté à la ménopause par rapport aux hommes sur la même tranche d’âge. « Empiriquement, les dermatologues constataient déjà une incidence plus élevée de mélanomes chez les jeunes femmes, notamment après la grossesse. Nous avons cherché à comprendre scientifiquement ce phénomène », explique dans un communiqué le Dr Lionel Larue, directeur de recherche à l’Inserm, chef d’équipe à l’Institut Curie et co-dernier auteur de l’étude.
Quels sont les mécanismes à l’œuvre ? Les chercheurs ont identifié ce qu’ils nomment « une voie de signalisation » jusqu’alors inconnue et strictement dépendante des hormones féminines. « Cette boucle de régulation implique différents acteurs moléculaires clés dont ESR1 (le récepteur aux oestrogènes) qui induit le récepteur GRPR (pour Gastrin-releasing peptide receptor), entraînant l’activation de la voie pro-métastatique YAP14 laquelle réprime la E-cadhérine (ECAD), une molécule (…) dont la diminution facilite la progression tumorale. La boucle est refermée par l’induction de la transcription de ESR1 après la réduction du niveau de ECAD ».
Plus concrètement, cette boucle met en place un cercle vicieux qui entraîne la croissance des tumeurs, la migration des cellules cancéreuses vers d’autres organes – les métastases – et la résistance à l’anoïkis, ce processus de mort cellulaire qui se produit lorsque les cellules perdent leur ancrage à leur environnement. L’anoïkis est normalement impliqué dans la protection contre les métastases mais chez les femmes, il dépend de l’activation du récepteur ESR1 par les œstrogènes.
Le récepteur GRPR est soupçonné d’être impliqué dans le processus cellulaire pro-métastatique et dans la perception de la douleur. Les chercheurs ont testé dans des modèles précliniques des antagonistes de GRPR, qui permettent d’inhiber son activité et donc celle de la boucle métastatique, et ont observé une réduction significative de la formation des métastases. Altérer GRPR pourrait non seulement faire obstacle aux métastases mais aussi améliorer la qualité de vie des patients. « La mise en place de thérapies combinatoires anti-oestrogéniques pourrait constituer une approche pertinente dans le traitement des mélanomes, et d’autres cancers, présentant cette boucle métastatique », précise l’Institut Curie.
« Mieux comprendre l’impact du sexe et de l’âge sur le développement de certains cancers est essentiel pour faire progresser la médecine de précision. Ce travail jette les bases d’approches thérapeutiques innovantes, prévalentes aux femmes, et ouvre des perspectives cliniques concrètes », conclut le Dr Lionel Larue, directeur de recherche à l’Inserm.
Outre l’inégalité des sexes face aux cancers, ces travaux montrent aussi l’importance de mieux intégrer les facteurs hormonaux et biologiques dans la prévention, le diagnostic et le traitement.
Source : Nature, Institut Curie
Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet