Cancers : les malades ont droit à la vérité et la sérénité

15 novembre 2013

En matière d’information santé, il est primordial de ne jamais oublier que derrière chaque lecteur – ou chaque auditeur – peut se trouver un patient ou un proche. Dans ce contexte le lancement par notre confrère du Point d’une nouvelle rubrique consacrée au « Médicament dangereux du mois », peut surprendre. Chacun bien sûr peut voir midi à sa porte. Mais est-il prudent d’affirmer sans s’appuyer sur des sources scientifiques précises, qu’un médicament comme l’Avastin®  indiqué contre les cancers du côlon, du poumon, de l’ovaire, du sein et du rein par exemple est inefficace, voire nuisible ?   

Prescrit à des milliers de patients en France, le bevacizumab puisque telle est sa dénomination commune internationale (DCI) n’est certes pas une panacée. Comme la plupart des médicaments actifs il expose à des effets secondaires voire comme des anticancéreux, à des effets secondaires sérieux. Les professionnels de santé pourtant, s’attachent à nuancer le propos.  Pour informer complètement sans effrayer leurs patients, ni les détourner de traitements utiles.  Il n’est pas question de s’inscrire en contre-point systématique à l’approche d’un confrère. Mais il peut être utile d’en proposer une grille de lecture différente, peut-être plus circonstanciée.

Qu’est-ce que l’Avastin® ?

Le bevacizumab est un anticorps monoclonal. Selon l’Agence européenne du Médicament (EMA) il « a été conçu pour s’attacher au facteur de croissance endothélial vasculaire (VEGF), une protéine qui circule dans le sang et agit sur la croissance des vaisseaux sanguins. En s’attachant au VEGF, Avastin® l’empêche de produire cet effet. Par conséquent, les cellules cancéreuses ne peuvent développer leur propre alimentation sanguine et sont privées d’oxygène et de nutriments, ce qui favorise le ralentissement de la croissance des tumeurs ». Avastin® appartient donc à la catégorie des anti-angiogéniques.

Qu’est-ce qu’un anti-angiogénique ?

Comme leur nom l’indique, les anti-angiogéniques bloquent le processus de néo-angiogenèse, qui provoque la croissance de nouveaux vaisseaux sanguins à partir des vaisseaux existants. Selon l’INSERM, « l’angiogenèse est notamment impliquée dans la croissance des tumeurs malignes et le développement des métastases ».

Quelles sont les indications de l’Avastin® ?

Les indications du bevacizumab sont nombreuses. Il a été autorisé pour la première fois en 2004, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe, dans le traitement des formes avancées du cancer du côlon. En 2006, il a vu ses indications élargies au cancer du poumon non à petites cellules. Puis en 2008 au cancer du sein métastatique. En 2009 cette molécule a été approuvée dans le traitement du cancer du rein. Enfin en décembre 2011, il a été autorisé dans le cancer de l’ovaire.

Médicament de première ou deuxième ligne ?

Contrairement à ce qu’affirme l’article publié dans Le Point, le libellé de son Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) et de ses différentes extensions indiquent clairement que l’Avastin® peut être prescrit en première intention. C’est le cas par exemple, dans la prise en charge du cancer du sein métastatique, du cancer du poumon, du cancer du rein avancé et/ou métastatique, et du cancer de l’ovaire. Cette information est facilement disponible sur la base des médicaments récemment mise en ligne par le ministère de la Santé. En pratique qu’en est-il ? Dans l’écrasante majorité des cas, ce traitement est prescrit en première ligne.

En revanche, il est exact que ce traitement – et cela dans toutes ses indications – est toujours associé à des chimiothérapies. Mais c’est aujourd’hui le cas pour pratiquement la majorité des anti-angiogéniques, et non pour le seul Avastin®.

Une efficacité en question

La Haute Autorité de Santé (HAS) en France, a jugé que l’Amélioration du Service médical Rendu par ce traitement était soit mineure, soit inexistante. Par ailleurs, aux Etats-Unis, la Food and Drug Association (FDA) a décidé de retirer son AMM au bévacizumab dans l’indication de cancer du sein métastatique. L’Agence européenne du Médicament (EMA) n’a pas suivi la même voie.

Néanmoins, l’efficacité de l’Avastin® a été démontrée par toutes les études liées à l’enregistrement de son AMM et de ses extensions d’AMM. Soit au total 18 études, dont les résultats ont été jugés significativement positifs. S’agissant du cancer du côlon ou du rectum métastatique, par exemple, chez les patients n’ayant encore bénéficié d’aucun traitement, l’adjonction d’Avastin® au traitement standard a permis d’obtenir une durée moyenne de survie globale de 20,3 mois, au lieu de 15,6 mois chez les malades uniquement soignés par chimiothérapie. Selon l’EMA, « pour les patients traités précédemment, l’ajout d’Avastin® a permis d’obtenir une durée de survie globale de 12,9 mois, contre 10,8 mois chez ceux qui étaient soignés par chimiothérapie uniquement ». « Une durée bien faible » selon Le Point. Mais qu’en pensent les patients et leurs proches ?

Autre exemple, le cancer du rein à un stade avancé ou métastatique. La survie moyenne sans progression de la maladie a été de 10,2 mois chez les patients sous Avastin®, et de 5,4 mois chez ceux sous placebo.

Des effets secondaires réels mais connus

Avastin® comme tous les traitements utilisés contre les cancers, entraîne des effets secondaires. Ceux qui sont évoqués par l’article du Point sont tous mentionnés dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP). Rien de nouveau, donc.

L’avis du cancérologue

Entretien avec le Dr David Malka, chef du comité multidisciplinaire de cancérologie digestive, Gustave Roussy, Villejuif

L’Avastin est-il vraiment efficace ? Et si oui dans quelle mesure ?

Les bénéfices en termes de contrôle tumoral ou de survie ont été largement démontrés par de grands essais internationaux dans plusieurs types de cancer, et validés par les autorités de régulation américaine et européenne, indépendantes l’une de l’autre et du laboratoire Roche. Pour ce qui concerne le cancer colorectal métastatique, l’Avastin® est utilisé en première ligne en association avec la chimiothérapie, mais aussi en deuxième ligne, tant chez des patients « naïfs » d’Avastin® – pas traités avec cette molécule auparavant n.d.l.r. -que chez des patients antérieurement traités par cet anticorps thérapeutique. Il n’est donc pas exact d’écrire que nous ne traitons avec ce médicament que des patients en échec de traitement. De fait, par rapport à la chimiothérapie seule, le bénéfice de l’adjonction de l’Avastin® peut se chiffrer entre + 20% et + 40%. C’est depuis l’avènement de telles classes d’anticancéreux « ciblés » que le mur des 2 ans de survie médiane a pu être franchi chez les patients atteints de cancer colorectal métastatique.

Quels sont les effets secondaires de l’Avastin ?

Les antiangiogéniques sont une nouvelle classe majeure d’anticancéreux qui agissent contre de nombreux cancers. Les effets indésirables cités dans l’article sont des effets communs à cette classe médicamenteuse. L’hypertension artérielle, observée chez environ un quart des patients, est l’effet indésirable le plus fréquent. Mais dans la grande majorité des cas, elle est aisément contrôlée par les antihypertenseurs courants. L’autre effet indésirable fréquent consiste en des saignements peu sévères, tels des saignements de nez (épistaxis) ou gingivaux au brossage dentaire. Si le risque d’effets indésirables potentiellement sévères est accru – globalement, doublé – par l’adjonction d’Avastin® à une chimiothérapie comparativement à la chimiothérapie seule, ces effets restent rares, survenant chez 0,5 à 2% environ des patients : saignements importants, perforations et fistules digestives, événements thromboemboliques artériels (plus que veineux d’ailleurs)… Le risque de survenue s’amenuise d’ailleurs avec le temps, devenant moindre après 3 mois de traitement par Avastin®.

Les retards de cicatrisation postopératoire sont connus : c’est pour cela que nous respectons un délai après (et avant) chirurgie majeure. En réalité, les effets secondaires retrouvés dans les grandes cohortes observationnelles internationales (plusieurs milliers de patients traités « dans la vraie vie ») sont similaires à ceux observés dans les études cliniques avant AMM, y compris chez les sujets âgés. Les effets secondaires potentiellement sérieux touchent moins de 5% des patients au total. Aujourd’hui, nous avons un bon recul sur ce traitement (et sur les antiangiogéniques globalement). Bien sûr, on doit informer les patients de ces effets indésirables potentiellement sévères et peser le rapport bénéfices/risques.

Quel impact ce type d’article peut-il avoir sur les patients ?

Un patient atteint d’une maladie grave comme un cancer avancé et traité par Avastin® est forcément réceptif à toute nouvelle (bonne ou mauvaise) concernant son traitement. Recevoir une information partielle, voire partiale, peut être profondément déstabilisant et peser sur la relation de confiance entre médecin et malade. Avec l’Avastin comme avec tout médicament, il importe de présenter et discuter le rapport bénéfice-risques avec le patient. Dans mon expérience, une fois présentés le bénéfice et les risques de l’Avastin®, les refus de ce traitement par les patients sont bien rares…

L’avis du fabricant

Le Dr Jérôme Garnier, Directeur médical oncologie du laboratoire Roche France, marque un étonnement profond. « Cet article ne présente pas la moindre information nouvelle.  Il reprend les informations d’un livre publié il y a un an (par les Prs Bernard Debré et Philippe Even n.d.l.r.) mais il est truffé d’erreurs scientifiques. Dire qu’Avastin® est rarement prescrit en première intention est totalement faux. Le journaliste reprend par exemple l’expression des auteurs ‘durée de vie moyenne’.  Cette notion n’est pas scientifique et n’est utilisée par aucun chercheur ou clinicien dans le monde. On parle de survie sans progression ou encore de survie globale. »

Concernant les effets secondaires, le Dr Garnier convient que « tout ce qui est dit est vrai, mais mélangé, sans nuances. » En revanche, il s’insurge contre la mise en cause directe des pratiques du laboratoire.  Selon Le Point en effet, « Sous le sceau de l’anonymat, un cancérologue renommé accuse : ’Le marketing de Roche est insupportable’ ».  Jérôme Garnier brocardant « le courage de ce cancérologue », dénonce « une attaque arbitraire. Nous nous réservons d’ailleurs d’y répondre par tous moyens appropriés. Nous faisons le maximum pour que l’information délivrée aux médecins soit la plus éthique possible, dans la recherche de la plus grande sécurité des patients. Ce qui nous choque, c’est que derrière cet article il y a des malades qui risquent d’être angoissés. Il est irresponsable de publier un tel article, sans avoir vérifié auprès du laboratoire concerné ».

 Pour aller plus loin :

Ecrit par : Emmanuel Ducreuzet – Edité par : Marc Gombeaud et David Picot

  • Source : HAS, ANSM, EMA, La Revue Prescrire, Le Point, INSERM, INCA, sites consultés le 15 novembre 2013 – Interviews du Dr Jérôme Garnier, directeur médical oncologie Roche France – Interview du Dr David Malka, chef du comité multidisciplinaire de cancérologie digestive, Gustave Roussy, Villejuif, 15 novembre 2013

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