Contrefaçon de médicaments : un marché mortel
03 février 2014
La contrefaçon médicamenteuse peut entraîner des échecs thérapeutiques, voire la mort ©Phovoir
La contrefaçon médicamenteuse tue ! Aujourd’hui, tous les pays sont concernés par ce marché de la mort… « Près d’un médicament vendu dans le monde sur dix est un faux », nous explique le Dr Yves Juillet, président honoraire de l’Académie nationale de pharmacie et membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. Lequel connaît parfaitement le sujet et rappelle que la France reste grâce à son système de distribution relativement épargnée.
« Il existe plusieurs formes de contrefaçon médicamenteuse », souligne Yves juillet. « Certains médicaments par exemple contiennent les principes actifs du produit original, mais avec un emballage imité. La copie peut par ailleurs renfermer les principes actifs requis, mais en quantités insuffisantes. Ou alors d’autres que ceux présents dans le vrai médicament. Il arrive enfin et c’est la majorité des cas que le produit contrefait n’en renferme aucun. »
« Il y a une quinzaine d’années, le problème de la contrefaçon ne concernait que les pays en développement », explique Yves Juillet. « A l’heure actuelle, c’est toujours un réel problème de santé publique dans ces régions, notamment en Afrique subsaharienne et en Asie. La proportion de médicaments contrefaits peut y être très importante. En 2004, une étude menée par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) au Cameroun, a montré que 38% des anti-paludéens ne contenait pas de principes actifs. Au Kenya par exemple, 30% des médicaments seraient contrefaits, comme aux Philippines. »
Dans ces pays, toutes sortes de molécules peuvent être contrefaites. « Ils y sont vendus en dehors du circuit pharmaceutique, dans les rues, les gares, les marchés, à l’unité, avec des conséquences gravissimes pour les populations. Les exemples ne manquent pas ! « En 1995, de faux vaccins contre la méningite ont été utilisés au Niger, il y a eu 2 500 morts. Certains contiennent des substances toxiques. Ce fut le cas d’un sirop contre la toux dans lequel on a retrouvé de l’antigel. Au Panama en 2006, il y a eu une centaine de morts ».
Historiquement, la contrefaçon a débuté dans les pays en voie de développement. Puis cela s’est étendu aux pays riches, « avec l’avènement du commerce électronique », signale Yves Juillet. « Ce qui est intéressant c’est qu’en Europe, il y a une corrélation entre une réglementation devenue plus souple et l’apparition de la contrefaçon. C’est le cas en Grande-Bretagne où vous avez davantage de contrefaçons qu’en France où le système de distribution des médicaments est plus strict ».
Internet, source de contrefaçons ?
D’ailleurs, la France semble encore relativement épargnée par ce problème. Pour Yves Juillet, « il y a trois raisons principales :
- La première c’est que la chaîne pharmaceutique est composée d’établissements qui sont tous autorisés, et des pharmaciens régulièrement contrôlés ;
- La deuxième, c’est que les médicaments sont pris en charge par les assurances sociales. Et donc les patients n’ont aucune raison d’aller en acheter en dehors du circuit licite ;
- La troisième, c’est que le prix du médicament en France est loin d’être le plus élevé. Et qu’un contrefacteur à toujours intérêt à vendre des produits à l’endroit ou les coûts sont importants. Aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, la contrefaçon est bien plus présente. »
En réalité, dans les pays en développement, la contrefaçon concerne des produits de grande consommation comme les anti-infectieux, les anti-parasitaires, les anti-paludéens. « Aux Etats-Unis, ce sont surtout des produits à forte valeur ajoutée que les gens essaient d’acheter en dehors du circuit pharmaceutique, pour éviter de payer trop cher. On retrouve ainsi des substances contre les troubles du dysfonctionnement érectile, des anorexigènes, des hormones, tous les produits dopants, pour lesquels nous n’avons absolument aucune garantie de ce qu’ils renferment. ».
Quelle lutte ?
Pour Yves juillet, il est important de mener la bataille sur plusieurs fronts. « Le premier niveau de lutte consiste à identifier les boîtes fausses. Mais les contrefacteurs sont très équipés. Ils sont capables de faire des conditionnements quasi parfaits. Le deuxième point essentiel, c’est la collaboration entre les industriels, les douanes, les polices et les autorités de santé pour mener à bien les enquêtes. Et ainsi de remonter les filières. »
Les résultats semblent probants. Y compris en Afrique. « De nombreuses saisies ont été réalisées ces dernières années aussi bien dans les pays en développement que dans les pays riches. Mais nous ne devons pas relâcher notre vigilance ».
Ecrit par Emmanuel Ducreuzet – Edité par : David Picot