Coupe du monde de rugby : quand reprendre après une commotion ?
08 septembre 2023
Alors que les chocs font parties intégrantes de la pratique du rugby, des chercheurs de l’Inserm traquent les signes de commotions cérébrales chez les joueurs. L’enjeu ? Les protéger d’un retour sur le terrain malgré des séquelles parfois invisibles.
Le coup d’envoi de la Coupe du monde de Rugby sera donné en France vendredi 8 septembre à 21h15. Si les amateurs de rugby auront les yeux tournés vers les résultats de leur équipe, les chercheurs eux veulent apprendre à éviter les complications après une commotion. « La commotion a longtemps été négligée, en partie car dans 90 % des cas, elle guérit toute seule et assez vite, explique dans un communiqué de l’Inserm David Brauge, neurochirurgien à Toulouse et président de la commission Commotions cérébrales de la Fédération française de rugby (FFR). Or, le problème réside dans les commotions successives, avant que le joueur soit totalement remis de la précédente ».
Pour rappel, « la commotion cérébrale se produit lorsqu’une force externe (un impact direct ou indirect à la tête) provoque une perturbation au niveau du fonctionnement du cerveau. Cette secousse peut être causée aussi bien par un impact direct à la tête, au visage ou au cou que par un impact à toute autre partie du corps occasionnant une force impulsive transmise au cerveau », note l’institut des commotions cérébrales. Le terme est surtout utilisé dans la médecine sportive, on parle sinon de traumatisme crânien.
Une reprise malgré des séquelles persistantes
C’est le principal casse-tête des médecins du sport : déterminer le bon moment pour la reprise des joueurs professionnels. Selon l’étude Rugby.com, un joueur peut ne plus avoir de signes cliniques de commotion alors que des anomalies cérébrales demeurent. « En cas de reprise prématurée de l’activité sportive, il peut persister une diminution des performances physiques et intellectuelles du joueur, ce qui augmente ainsi le risque à court terme d’une nouvelle commotion cérébrale et/ou d’une nouvelle blessure. A plus long terme, la répétition des commotions cérébrales aurait un effet cumulatif sur le dysfonctionnement cérébral avec à terme des dommages irréversibles et des répercussions sociales et professionnelles », lit-on dans l’étude.
« On ne voit rien au scanner et les tests réalisés 36 heures après une commotion comportent des biais car les professionnels, qui les passent tous les ans à l’intersaison, les maîtrisent. Il faut donc trouver un panel d’outils d’évaluation plus objectifs », précise dans le communiqué Patrice Péran, directeur de recherche à l’Inserm.
Mettre au point un panel d’outils fiables
Des médecins et chercheurs se sont emparés du sujet. Objectif : disposer d’un panel d’outils solides pour autoriser ou non un joueur à reprendre le chemin du terrain. Première piste : le biomarqueur sanguin. La protéine S100-B, déjà retrouvée chez les footballeurs américains a ainsi pu être observée chez les rugbymen. Elle est en effet sécrétée par les cellules du cerveaux mises à mal mais aussi les autres organes choqués. « Nos études ont donc démontré que juste après un match, les rugbymen – commotionnés ou non – voient leur taux s’élever, puis 36 à 48 heures après, il revient à son niveau initial, sauf chez le joueur dont le cerveau reste en souffrance », note Vincent Sapin, directeur de recherche à l’Inserm.
Autre piste creusée par les scientifiques : l’imagerie par résonnance magnétique (IRM). « 25 rugbymen commotionnés et 19 sportifs hors sport de contact qui servaient de témoins ont passé des IRM et des tests neuropsychologiques en trois temps : pour les rugbymen, quelques jours après la commotion, puis quand les symptômes avaient disparu et à 3 mois, et au même rythme pour les témoins », explique David Brauge, directeur de l’étude Rugby.com menée sur ce sujet. Résultats : alors que les symptômes avaient disparu, des anomalies persistaient à l’IRM plusieurs mois après la commotion.
Des progrès sur le terrain
Quid des séquelles à moyen et long terme des micro-commotions à répétition, notamment pour les joueurs amateurs, moins bien suivis que les joueurs professionnels ? Philippe Decq, de l’institut biomécanique humaine Georges-Charpak, aurait établi « un lien entre commotions répétées et troubles de l’humeur, mais des chercheurs étrangers font état d’atteintes neurodégénératives sévères », note l’Inserm. Des études sur cette question s’avèrent donc nécessaires pour mieux connaître les conséquences à longs termes sur le cerveau de la pratique du rugby, même amateur.
Selon les chiffres avancés dans l’étude Rugby.com, les commotions concerneraient près de 68 000 athlètes par an, chez les moins de 19 ans. Il s’agit là d’une extrapolation à partir des données des Etats-Unis. Selon une étude française de 2018, une commotion survient une fois tous les trois matchs professionnels par effectif. Dans 72 % des cas, le joueur était sorti immédiatement du terrain pour protocole commotion. Désormais, un superviseur vidéo médicale traque les signes de commotions chez les joueurs, quasiment en temps réel. A la moindre alerte, le médecin de l’équipe est informé et le joueur pris en charge.
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Source : Inserm - Incidence et mécanisme des commotions cérébrales dans le rugby professionnel : 2 clubs du top 14, Journal de traumatologie du sport, juin 2018 – Rugby.com, Fondation Thérèse et René Planiol pour l’étude du cerveau, décembre 2022
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Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Vincent Roche