Epidémie de grippe : pourquoi est-elle si sévère cette année ?
10 janvier 2025
Pour faire face à l’épidémie de grippe, 87 hôpitaux avaient déclenché, vendredi 10 janvier, le plan blanc. Ce dispositif permet de déplacer certaines opérations non-urgentes et de rappeler du personnel en congé. L’épidémie touche actuellement toutes les tranches d’âge et semble particulièrement sévère, notamment chez les plus fragiles. Le virus de la grippe 2024-2025 est-il plus virulent que celui des saisons précédentes ? Peut-on d’ores et déjà affirmer que cette épidémie sera particulièrement meurtrière ? Réponses avec Sibylle Bernard-Stoecklin, épidémiologiste et coordinatrice de la surveillance de la grippe saisonnière à Santé publique France.
Santé publique France évoque dans son bulletin du mercredi 8 janvier un niveau d’hospitalisations liées à la grippe « exceptionnellement élevé » sur la première semaine de janvier. La grippe est-elle plus sévère que lors des saisons précédentes ?
Sibylle Bernard-Stoecklin : On est encore au début de l’épidémie, seulement la 5e semaine (habituellement la grippe dure 10 à 12 semaines, ndlr). Elle a démarré en décembre, donc plutôt précocement même si ce n’est pas exceptionnel. Selon les données de médecine de ville, l’épidémie est d’intensité modérée. Les chiffres des semaines 52 (2024) et 1 (2025), comparés à ceux des épidémies précédentes, le confirment. Mais dans le réseau Oscour (données concernant les urgences, ndlr), les activités pour grippe/syndrome grippal et les hospitalisations qui en découlent ont atteint en une semaine des niveaux exceptionnellement élevés, des niveaux qu’on n’a jamais observés par le passé. Et ce caractère exceptionnel se vérifie dans toutes les tranches d’âge. Il est toutefois plus important chez les moins de 5 ans et les 65 ans et plus, ce qui est normal car c’est aux âges extrêmes de la vie qu’on est le plus à risque de faire des formes graves de grippe. La maladie a aussi un impact très fort dans les Ehpad et les établissements qui accueillent un public de séniors.
Autre signe, les certificats électroniques qui mentionnent la grippe comme cause du décès, sont en nette hausse ces deux dernières semaines et atteignent la valeur de 6 % en semaine 1. Soit une valeur déjà supérieure à celles atteintes aux pics des trois dernières saisons.
Comment peut-on expliquer ce caractère exceptionnel ?
La grippe a un caractère très imprévisible et présente des spécificités différentes d’une épidémie à l’autre, des variations qu’on a souvent du mal à expliquer. On peut imaginer que cette tension sur l’hôpital, concomitante aux vacances scolaires est en partie liée aux congés que prennent les médecins durant cette période et au fait que les patients vont directement aux urgences plutôt que chez le généraliste.
Par ailleurs, l’intensification de la circulation de la grippe est survenue au moment des vacances scolaires. On le sait, les congés de fin d’année sont propices aux regroupements familiaux, notamment avec les grands-parents. Les personnes les plus à risque de faire des formes graves de la grippe sont très exposées à cette période. Et les enfants sont vraiment les moteurs de l’épidémie, qui a débuté juste avant les vacances.
Autre explication. Actuellement, on observe la circulation des trois virus grippaux, H1N1, H3N2 et B-Victoria. Tous les virus grippaux peuvent infecter une personne quel que soit son âge et sont capables de causer une forme grave. Mais à l’échelle de la population, l’impact de chaque virus est différent en fonction des tranches d’âge. Ainsi, le virus B-Victoria est bien décrit pour avoir un impact plutôt chez les enfants. Le virus H1N1 est capable de faire des grosses épidémies notamment chez les jeunes adultes. Et le virus H3N2 est bien décrit pour être particulièrement sévère chez les personnes âgées. Et là, les trois virus circulent, ce qui peut expliquer pourquoi toutes les tranches d’âge sont particulièrement touchées à l’heure actuelle.
Sait-on si on a atteint le pic épidémique ?
Pour l’heure le pic n’est pas atteint. Mais les vacances scolaires sont connues pour ralentir la circulation du virus au sein de la population. Les enfants étant les moteurs de transmission, cela peut suffire à casser l’épidémie. Mais la circulation était tellement intense durant ces vacances, que cela peut entraîner un rebond à la rentrée. En outre, on observe actuellement que le H3N2 circule davantage qu’en début de saison. S’il continue à s’intensifier, il pourrait accentuer l’impact de l’épidémie dans les prochaines semaines. On le surveille de près.
“Cette épidémie s’annonce sévère. Elle l’est déjà à l’hôpital et elle aura probablement un effet sur la mortalité.”
La grippe est responsable de 9 000 à 10 000 décès en moyenne chaque saison. Sera-t-on au-dessus pour cette épisode 2024-2025 ?
Il est encore une fois trop tôt pour le dire. En général, on observe le décalage suivant : on a d’abord les effets de l’épidémie de grippe en ville, puis un décalage d’une à deux semaines pour les hospitalisations et il y a encore un décalage d’une à deux semaines sur la mortalité. On en est à la cinquième semaine et pour l’heure, on ne dispose que des chiffres des mortalités toutes causes confondues pour la semaine 52, pour lesquels on n’observe pas encore d’excès de mortalité. Ces données vont se consolider au fur et à mesure.
Les certificats électroniques dont je vous parlais tout à l’heure donnent une tendance et sont une photographie à l’instant T, ils ne permettent pas d’affirmer qu’il y aura une surmortalité liée à la grippe. Mais ces certificats montrent, en semaine 1, un niveau de mortalité liée à la grippe plus élevée qu’aux pics des deux saisons précédentes. C’est ce qui nous permet d’affirmer que cette épidémie s’annonce sévère. Elle l’est déjà à l’hôpital et elle aura probablement un effet sur la mortalité. On peut d’ores et déjà l’anticiper mais il faudra plus de recul pour mesurer la mortalité liée à l’épidémie actuelle.
On parle de symptômes plus virulents, notamment chez les jeunes. Peut-on l’expliquer ?
A l’heure actuelle, nous ne disposons pas de données pour affirmer que les virus qui circulent actuellement sont plus virulents que d’habitude. Aucun facteur virologique n’explique, à l’échelle individuelle, une virulence accrue des symptômes. On observe, à l’échelle de la population générale, une sévérité de l’épidémie de grippe sur les hospitalisations mais rien ne peut expliquer intrinsèquement la gravité des symptômes par rapport aux épidémies précédentes. Des explications virologiques pourraient toutefois émerger avec plus de recul.
Est-ce que cela vaut encore la peine de se faire vacciner ?
Le pic n’est pas encore atteint, on ne sait pas comment l’épidémie évoluera. La grippe peut encore circuler intensément durant plusieurs semaines. Il ne faut pas traîner mais il n’est pas trop tard pour se faire vacciner, surtout si on est à risque de forme grave. Les premières données de ventes et dispenses de vaccins nous montrent qu’elles se situent à des niveaux inférieurs que les années précédentes. Pourtant, le vaccin reste un des moyens de se prémunir contre le virus. Un autre outil, ce sont les gestes barrières, très efficaces contre tous les virus respiratoires d’ailleurs. Cela a été prouvé et documenté, ils permettent de limiter la transmission du virus à l’échelle collective et à l’échelle individuelle. Quand on est grippé, on reste chez soi, on ne rend pas visite à des personnes fragiles, on aère les pièces, on se lave les mains et on porte un masque dans les lieux fréquentés.
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Source : Interview de Sibylle Bernard-Stoecklin, épidémiologiste à la direction des maladies infectieuses à Santé publique France.
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Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet