IVG : 50 ans après la loi Veil, l’accès à l’avortement n’est pas toujours garanti
17 janvier 2025
Toutes les femmes qui le souhaitent doivent pouvoir bénéficier d’une interruption volontaire de grossesse en France. Toutefois, plusieurs freins persistent ou émergent, fragilisant l’accès à cette liberté garantie par la Constitution.
17 janvier 2025. Voici 50 ans que la loi relative à la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse, dite loi Veil, est entrée en vigueur. Le 8 mars 2024, la liberté des femmes de recourir à l’IVG a été inscrit dans la Constitution. Ce faisant, la France est devenue le premier pays au monde à garantir la liberté de recourir à l’avortement. Pourtant, l’inscription de l’IVG dans ce texte fondamental n’en fait pas un droit opposable et les difficultés d’accès à l’avortement persistent.
Pour rappel, en France, il est possible d’avorter jusqu’à la 14e semaine de grossesse, soit la 16e semaine d’aménorrhée. En 2023, selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress), 243 623 interruptions volontaires de grossesse ont été enregistrées, en hausse par rapport à 2022. « Cette augmentation s’observe en France métropolitaine (16,3‰ contre 15,7‰ en 2022) comme dans les départements et régions d’outre-mer (31,5‰ contre 30,4‰) », note la Drees.
Et les IVG médicamenteuses, autorisées jusqu’à la fin de la 7e semaine de grossesse, représentent 79 % de l’ensemble des IVG, contre 68 % en 2019 et 31 % en 2000. Elles recouvrent l’essentiel des IVG réalisées en ville et, désormais, une majorité des IVG réalisées en établissement de santé.
De profondes disparités d’accès en fonction des territoires
La part de la médecine de ville dans la pratique des IVG a largement progressé ces dernières années au niveau national. Mais de fortes disparités territoires ont été relevées dans un rapport du Sénat publié en octobre 2024 : « en 2021, la part prise par l’activité de ville dans l’offre totale d’IVG s’établissait à 10 % dans les Pays de la Loire, quand elle s’élevait à 43,5 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur ». Au niveau départemental, « en 2023, moins de 10 % des IVG ont été réalisées hors d’un établissement de santé dans l’Orne, la Creuse, la Sarthe ou la Haute-Vienne, alors que plus de 60 % d’entre elles étaient réalisées en ambulatoire dans les Hautes-Alpes et dans les Alpes-Maritimes, en Guadeloupe et en Guyane ».
Toujours selon ce rapport, les inégalités d’accès ne sont pas corrélées à une situation de désert médical. « Les disparités observées semblent davantage tenir à l’inégal engagement des professionnels de ville dans l’offre d’IVG ». Pour Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti, autrices d’un rapport parlementaire sur ce sujet en 2020, « la principale explication aux difficultés d’accès à l’IVG résulte essentiellement du désintérêt à l’égard d’un acte médical peu valorisé et considéré comme peu valorisant ». Un manque d’implication des professionnels de ville qui limite les IVG médicamenteux à domicile, notamment par téléconsultation.
Des difficultés auxquelles s’ajoute la clause de conscience. Pour rappel, en ville comme à l’hôpital, aucun professionnel de santé n’est tenu de pratiquer ou concourir à une IVG. La clause de conscience légale leur permet de refuser de pratiquer un avortement. Ainsi, selon le baromètre sur l’accès à l’avortement en France, réalisé par l’Ipsos pour le Planning familial en septembre 2024, 27 % des femmes ayant eu recours à un avortement dans les 5 dernières années se sont vues refusées d’être accompagnées par un professionnel de santé.
Une concentration des IVG à l’hôpital public
En outre, en 2001, les établissements privés réalisaient encore 39 % des IVG, ils n’étaient plus que 3,5 % en 2023. Selon les données de la Drees en 2024, le secteur public a réalisé 92 % des IVG effectué en établissement de santé en 2023. « La faiblesse des tarifs associés à l’activité d’IVG figure parmi les principaux facteurs explicatifs mis en avant », explique le Sénat dans son rapport.
La concentration des IVG à l’hôpital public impacte les délais de rendez-vous. Ainsi, selon le baromètre du Planning familial, 54 % des femmes qui ont avorté en établissement de santé ont dû attendre plus de sept jours. Un délai d’attente pouvant être stressant pour des femmes parfois dans l’urgence.
Une difficulté qui n’échappe pas au Collège nationale des gynécologues et obstétriciens de français (CNGOF) qui écrit dans un communiqué du 15 janvier : « Nous souhaitons rappeler une nouvelle fois que pour garantir un réel et égal accès à l’IVG sur tout le territoire il convient d’accorder aux femmes un rendez-vous dans les 5 jours suivant leur demande et d’être en mesure de leur garantir des conditions optimales d’accompagnement et de prise en charge ».
Même cause autre conséquence. L’ensemble des établissements ne propose pas les deux techniques, médicamenteuses et instrumentales. En cause, le manque de personnels, le manque de place en bloc opératoire et les besoins de formation des professionnels de santé pour la réalisation des IVG instrumentales. Selon le baromètre du Planning familial, 31 % des femmes qui pouvaient choisir entre les deux techniques (jusqu’à la fin de la 7e semaine de grossesse) n’ont pas eu le choix de la méthode. Et seuls 44 % des établissements qui réalisent des IVG, sont aptes à pratiquer des IVG tardives, après douze semaines de grossesse. Pour y remédier, le Sénat propose de « soutenir au niveau régional la formation des sage-femmes et, plus largement, des équipes hospitalières à la technique instrumentale ».
Des pressions qui persistent
A ces difficultés très concrètes s’ajoutent la désinformation et des pressions exercées sur les femmes qui souhaitent avorter. Selon un rapport de la Fondation des femmes, relayé par le Sénat, « il semblerait que l’arrêt [de juin 2022] de la Cour suprême des États-Unis ait raffermi les groupes de lutte contre l’avortement dans leurs actions ». Cette mobilisation se manifeste « sous la forme de fausses informations, d’affirmations trompeuses sur l’avortement et de contenus choquants et dissuasifs », destinés « à décourager les utilisateurs de recourir à l’avortement et à semer le doute sur la sécurité des traitements médicaux utilisés ».
Ainsi, selon le planning familial, 37 % des femmes qui ont eu recours à un avortement ont ressenti des pressions, de la part de son entourage, de professionnels de santé ou de mouvement anti-avortement. Outre ces pressions, selon l’enquête du Planning familial, 63 % des femmes qui ont avorté affirment que la peur d’être jugée est un frein à l’avortement, de même que le tabou autour du droit à l’avortement (41 %). Dans son rapport, le Sénat propose la conduite régulière de campagnes de communication grand public sur les modalités d’accès à l’IVG, sensibilisant les patientes au risque de désinformation en ligne.
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Source : Drees, Baromètre sur l'accès à l'avortement en France (Ipsos, Planning familial, 2024), IVG : une « liberté garantie » mais un accès fragile, commission des affaires sociales du Sénat, Octobre 2024 - CNGOF
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Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet