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A mi-parcours de la 10ᵉ édition du Mois sans tabac, une crainte revient souvent, exprimée avec conviction par les fumeurs : « Arrêter la cigarette, c’est risquer d’aggraver mon anxiété, ce n’est pas le bon moment », « la cigarette permet de me calmer » …Mais ces craintes sont-elles justifiées ?
Nombreux sont les fumeurs persuadés que la cigarette les aide à apaiser leur stress ou leur anxiété, parmi ceux qui se disent de nature anxieuse. « Cette croyance est pourtant infondée, assure le Dr Guillaume Airagnes. La sensation de détente qu’ils éprouvent ne traduit pas un effet relaxant du tabac, mais la disparition très passagère des symptômes de manque entre deux cigarettes. »
Quelles sont les explications ? La nicotine est une des substances les plus addictives que l’on connaisse. Lorsqu’on devient dépendant, des signes de manque apparaissent rapidement entre chaque cigarette, « parfois sans que l’on en ait pleinement conscience : tension, nervosité, irritabilité, anxiété, troubles du sommeil, poursuit le spécialiste. Fumer procure alors une impression d’apaisement, mais cet effet – très bref – ne correspond qu’à la levée du manque, et non pas à une action directe de la cigarette et notamment de la nicotine sur le stress. » Autrement dit, la cigarette ne calme pas l’anxiété. Pire, « elle entretient au contraire un cercle vicieux de dépendance où chaque épisode de manque renforce la sensation de stress et d’anxiété. »
C’est pourquoi, lorsqu’un fumeur anxieux souhaite arrêter, il doit être accompagné pour éviter ces symptômes de sevrage. Les traitements de substitution nicotinique (patchs, gommes, pastilles) permettent de prévenir ces manifestations de stress, d’irritabilité ou d’anxiété, et facilitent ainsi un sevrage confortable. Ils peuvent être associés à d’autres stratégies, telles que le recours à la cigarette électronique, et d’autres traitements médicamenteux peuvent aussi être employés tels que la varénicline (ChampixR).
La cigarette, en raison de la nicotine qu’elle contient, exerce un effet « dépressogène » (qui favorise l’apparition ou l’aggravation d’un état dépressif) et qu’en définitive, chaque bouffée ne fait qu’apaiser temporairement des symptômes d’anxiété ou de dépression qu’elle contribue elle-même à entretenir sur le long terme ! « En effet, on peut dire en effet qu’il existe des relations bidirectionnelles entre le fait d’être fumeur de tabac et les symptômes anxio-dépressifs, confirme le Dr Airagnes. Et il est possible d’affirmer, études scientifiques à l’appui, que l’arrêt du tabac permet à terme une amélioration des symptômes anxieux comme dépressifs. »
Une étude scientifique publiée en 2020 concluait qu’il existe désormais des preuves solides indiquant que le tabagisme constitue un facteur de risque de dépression, et que des éléments suggèrent qu’une prédisposition génétique à la dépression favorise le tabagisme. Les auteurs estimaient donc que « l’association entre tabagisme et dépression s’explique, au moins en partie, par un effet causal du tabagisme, apportant ainsi une preuve supplémentaire de ses conséquences néfastes sur la santé mentale. »
Ainsi, pour les personnes présentant un trouble anxieux ou un trouble dépressif, « le raisonnement est le même que pour les autres troubles psychiatriques, ajoute le Dr Airagnes. De manière générale, la présence d’un trouble mental doit être au contraire un argument supplémentaire pour être très proactif chez elles dans l’aide au sevrage tabagique. »
Or, cette démarche de sevrage parmi les personnes ayant des troubles anxieux-dépressifs se heurte encore à plusieurs idées reçues, notamment celle selon laquelle un patient souffrant de dépression ne devrait pas être encouragé à arrêter de fumer, sous prétexte qu’il affronte des difficultés plus graves ou que le sevrage risquerait d’aggraver son état. Cependant, les données scientifiques actuelles infirment cette croyance, contredit Guillaume Airagnes : « c’est même l’inverse : chez ces patients, le sevrage tabagique n’aggrave pas les troubles mentaux, il tend au contraire à les atténuer. On observe fréquemment une amélioration de l’anxiété et des symptômes dépressifs après l’arrêt du tabac. Un trouble psychique – et même la schizophrénie, les troubles bipolaires… – est donc une raison supplémentaire d’agir et de se voir proposer un accompagnement adapté au sevrage. »

Source : Interview du Dr Airganes (10/11/25) ; Nicolas Bonnet TABAGISME& SANTÉ MENTALE ; Edition Respadd, 2020 ; Wootton RE, et al. Evidence for causal effects of lifetime smoking on risk for depression and schizophrenia: a Mendelian randomisation study. Psychol Med. 2020 Oct;50(14):2435-2443 ; Airagnes G, et al. Nicotine dependence and incident psychiatric disorders: prospective evidence from US national study. Mol Psychiatry. 2025 Mar;30(3):1080-1088.

Ecrit par : Hélène Joubert - Édité par Emmanuel Ducreuzet