Le cancer du sein, aussi chez l’homme
23 octobre 2024
Le cancer du sein chez l'homme reste un mystère pour beaucoup d’entre nous. Facteurs de risque, prédispositions génétiques et symptômes à surveiller… Eclairage avec le Dr Alessandro Viansone, oncologue au département d'oncologie médicale - Comité de Pathologie Mammaire de l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif).
Quelle est la part du cancer du sein chez l’homme par rapport à l’ensemble des cancers du sein ?
Dr Alessandro Viansone : Le cancer du sein masculin reste peu fréquent, moins de 1 à 2 % de tous les cancers du sein. Ces statistiques proviennent essentiellement des pays occidentaux, y compris l’Amérique du Nord. Dans les pays moins développés, il est encore sous-diagnostiqué car il n’est pas systématiquement envisagé et les moyens diagnostics manquent.
Quels sont les hommes touchés par le cancer du sein ?
Ils ont généralement plus de 60 ans, ce qui contraste avec les femmes où le dépistage se concentre sur la tranche d’âge 50 – 70 ans. Il ne faut cependant pas exclure cette possibilité chez les jeunes hommes.
Les facteurs de risque sont connus, comme la consommation d’alcool, notamment en cas de cirrhose. Celle-ci peut endommager le foie, augmenter le taux d’œstrogènes et faire baisser celui des androgènes, ce qui accroît le risque de cancer du sein. Par ailleurs, la gynécomastie, ou développement excessif des seins chez l’homme, est un facteur de risque, comme l’obésité ou encore certains problèmes testiculaires comme la cryptorchidie (testicule non descendu).
L’augmentation de certains facteurs de risque couplée à une meilleure détection fait que leur nombre absolu de cancers du sein chez l’homme va probablement s’élever.
La génétique pèse-t-elle lourd dans la survenue du cancer du sein chez l’homme ?
Les mutations génétiques semblent en effet jouer un rôle important dans ce type de cancer, et a priori encore plus que chez la femme. Environ 15 à 20 % des cancers du sein chez l’homme seraient liés à des mutations génétiques. Mais le taux exact est encore en cours de détermination. Je m’explique : jusqu’à récemment, les tests génétiques étaient limités à certains types de patients, notamment les jeunes femmes ou les cancers triple négatifs. Depuis 2022, et l’arrivée des traitements ciblant les mutations génétiques, les tests sont prescrits à la plupart des patientes et patients avec un cancer du sein. Par conséquent, d’ici à cinq ans, on aura une idée plus précise de l’incidence de ces mutations dans la population générale. Et donc aussi chez l’homme.
Les cancers du sein masculins sont-ils les mêmes que chez la femme ?
Le type histologique principal de cancer du sein chez l’homme est le carcinome canalaire infiltrant, qui représente environ 85 % des cas. Ce type de cancer est également fréquent chez la femme, où il constitue la majorité des cancers du sein, mais dans des proportions différentes. Chez les femmes, environ 70 à 75 % des cancers du sein sont des carcinomes canalaires infiltrants, tandis que les 25 à 30 % restants incluent des carcinomes lobulaires, des carcinomes in situ, et d’autres types de cancers. 90 % de ces cancers sont hormono-dépendants.
Pourquoi le carcinome canalaire est-il si fréquent ?
Il semble que cela soit en grande partie lié aux caractéristiques biologiques du tissu mammaire – masculin comme féminin. Quoi qu’il en soit, la distinction entre les types de cancer (canalaire ou lobulaire) n’a pas encore d’impact majeur sur les traitements actuels, mais les recherches sont en cours. Homme ou femme, le traitement est surtout déterminé par l’expression des récepteurs hormonaux, le statut HER2 et les cancers dits “triple négatifs”.
Donc on traite le cancer du sein de l’homme de la même manière que celui de la femme ?
Sur le plan du traitement et par conséquent lié au profil hormonal, on considère l’homme comme une femme pré-ménopausée, en prescrivant surtout du tamoxifène, un anti-estrogène. En ce qui concerne la chimiothérapie ou les thérapies ciblées, par exemple dans le cas des cancers triple négatifs ou HER2 positifs, ce sont les mêmes
traitements pour les hommes et pour les femmes. Lorsqu’un homme présente des symptômes évocateurs d’un cancer du sein, le processus de diagnostic inclut nécessairement une recherche de mutations génétiques.
C’est sur le plan chirurgical qu’il y a une différence : chez les femmes, on privilégie souvent la tumorectomie, qui consiste à retirer uniquement la tumeur tout en préservant le reste du sein. Chez l’homme, en revanche, la mastectomie est généralement choisie dès le départ, car la glande mammaire est plus petite, ce qui permet de l’enlever dans son intégralité avec des résultats esthétiques moins impactants que chez la femme.
Quid du pronostic du cancer du sein chez l’homme ?
Le pronostic dépend essentiellement du type de cancer traité, tout comme chez la femme. Les récents traitements ciblant les mutations génétiques (thérapies ciblées) ont un impact considérable sur le pronostic des cancers du sein. Ces avancées thérapeutiques réduisent non seulement le risque de récidive, mais améliorent également la survie globale des patients. Tant chez l’homme que chez la femme.
Les chiffres varient selon l’histologie et le stade de la maladie au moment du diagnostic. Pour les cancers du sein détectés à un stade précoce (stades I et II), la survie globale peut atteindre entre 60 et 98 %, selon les sous-types histologiques, qu’il s’agisse de cancers HER2 positifs (le plus fréquent chez l’homme), triple négatifs ou hormonodépendants. Cependant, pour les cancers du sein métastatiques, la situation est plus préoccupante, avec une survie globale d’environ 30 % – 50 % sur cinq ans, tous sous-types confondus. Cette différence souligne l’importance cruciale du dépistage précoce, que l’on soit une femme ou un homme.
Quels sont les signes chez l’homme ?
Chez les hommes, bien que le dépistage systématique n’existe pas, étant donné que la glande mammaire est moins développée, la palpation d’une masse ou d’une boule est souvent plus évidente. C’est d’ailleurs pourquoi on a moins de cancers découverts au stade métastatique chez l’homme. Les symptômes sont identiques à ceux de la femme : une masse, un écoulement mamelonnaire, une rougeur au niveau du sein. Si c’est le cas, direction le médecin généraliste, car il n’y a pas d’équivalent « gynécologue » pour les hommes. Le parcours de soins sera ensuite identique et dans les mêmes centres que ceux qui suivent les femmes. Une fois en rémission, le suivi est aussi identique à celui de la femme : une mammographie annuelle sur le sein « controlatéral » (qui n’a pas été touché par le cancer).
Il est donc essentiel que tout homme, surtout après 60 ans, qui constate une masse mammaire, consulte rapidement un professionnel de santé. Une échographie peut aider à déterminer la nature de cette masse (kystes, anomalies bénignes, tumeur). En complément, une IRM peut aider à préciser la nature de ces anomalies. Si une masse est suspectée, une biopsie sera réalisée pour confirmer le diagnostic par analyse histologique. Et une cytoponction des ganglion lymphatiques au niveau de l’aisselle, éventuellement si l’on suspecte des métastases.
Les enfants d’une femme ayant eu un cancer du sein avec mutation génétique présentent-ils les mêmes risques, qu’ils soient fille ou garçon ?
Oui. Si une mère ayant eu un cancer du sein porte une mutation génétique, comme celle des gènes BRCA1 ou BRCA2, la probabilité de la transmettre à ses enfants est identique (de 50 %), qu’il s’agisse d’une fille ou d’un garçon. Ces derniers ont une susceptibilité accrue au cancer du sein. En pratique, lorsqu’une mutation est détectée chez la mère, le service de génétique recommande de discuter de cette situation avec les enfants. Ces derniers, entre 18 et 25 ans, peuvent, s’ils le souhaitent, prendre l’initiative de consulter le service de génétique pour évaluer leur propre risque.
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Source : Interview du Dr Alessandro Viansone, oncologue au département d'oncologie médicale dans le Comité de Pathologie Mammaire de l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif) (octobre 2024) ; Sites de l’INCa et HAS et de l’IGR Villejuif.
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Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet