Lucas, guéri d’un cancer incurable : « Il n’y a plus de traces de la tumeur »

17 octobre 2023

A six ans, Lucas a été diagnostiqué d’un gliome infiltrant du tronc cérébral, une tumeur au sombre diagnostic. Avec une survie ne dépassant pas les deux ans après l’annonce de la maladie. Pourtant, six ans après, Lucas n’est plus sous traitement et plus aucune trace de tumeur n’est visible à l’IRM. Explications avec son pédiatre, le Dr Jacques Grill, du centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy.

Lucas avait six ans quand on lui a diagnostiqué un gliome infiltrant du tronc cérébral (GITC). Une maladie incurable, qui touche environ une cinquantaine d’enfants par an en France, dont la survie est de deux ans en moyenne après l’annonce du diagnostic. Cette tumeur n’est en effet pas opérable car infiltrante. Ce qui signifie qu’elle s’étend aux tissus avoisinants. Les cellules cancéreuses se mélangent aux cellules saines, il est alors impossible de les retirer sans abîmer des axes nerveux vitaux. Lucas a pu intégrer l’essai Biomède, conduit au Centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy (Villejuif) par le pédiatre Jacques Grill. Trois nouveaux médicaments étaient alors testés. Le jeune Belge a bénéficié de l’un de ces nouveaux traitements, qu’il a pris de ses 6 ans à ses 11 ans. Aujourd’hui âgé de 12 ans, il ne présente plus aucune trace de la maladie. Entretien avec Jacques Grill, son pédiatre à Gustave-Roussy.

Lucas souffrait d’un gliome infiltrant du tronc cérébral (GITC). Pourquoi cette tumeur n’est-elle pas opérable ?  

Jacques Grill : A part la radiothérapie, qui calme la maladie transitoirement, on ne dispose d’aucun traitement efficace. Toute tentative chirurgicale enlèverait tout autant de tissu normal que de tissu malade dans cette partie du cerveau. Alors que tout ce qui rentre et sort du cerveau transite par le tronc cérébral, il est impossible d’opérer cette zone. Il s’agit de la tumeur du cerveau la plus fréquente chez l’enfant et c’est aussi celle qui tue le plus.

Vous avez rencontré Lucas dans le cadre de l’essai Biomède que vous dirigez, destiné à proposer aux enfants atteints d’un GITC une thérapie ciblée. Vous nous en dites plus ?

Diagnostiqué durant des années par IRM, on a ensuite réussi, grâce à Biomède et aux avancées des chirurgiens de l’hôpital Necker Enfants malades, à effectuer des biopsies de ces tumeurs. On a ainsi découvert que cette tumeur portait presque à chaque fois une mutation spécifique. Si celle-ci est découverte, on est alors certain qu’il s’agit d’un GITC. Cette mutation nous a mis sur la piste de traitements qu’on imaginait pouvoir fonctionner. Lucas a reçu l’un des trois médicaments (évérolimus), testés dans l’essai Biomède. Celui-ci s’est avéré très intéressant car plus efficace que les autres et surtout, avec une faible toxicité, très facile à contrôler. Il est donc devenu le traitement standard de la maladie.

Et comment a réagi la tumeur de Lucas ?

Elle a été extrêmement sensible à l’évérolimus, de manière spectaculaire. On a alors effectué un séquençage du génome de la tumeur. Le gliome de Lucas présentait bien la mutation déjà connue mais en présentait une seconde. On pense que c’est cette mutation qui a changé l’évolution de la maladie chez Lucas.

Comment cette évolution favorable, la première du genre, peut vous aider dans vos recherches ?

C’est actuellement le travail de mon équipe à l’Inserm. Elle cherche à modéliser cette altération de la tumeur, comprendre ce qui passe dans la cellule et le reproduire dans les cellules des autres enfants qui n’ont pas cette mutation. L’objectif étant d’obtenir ce même résultat avec la prise d’évérolimus.

Aucun autre enfant n’a réagi de la même manière que Lucas ?

Parmi les autres patients qui ont reçu le même traitement, huit autres ont vu leur maladie évoluer beaucoup moins vite que les autres. Ces enfants présentent aussi une altération de la tumeur, mais pas la même que celle de Lucas. Tous sont considérés en rémission car la tumeur n’a pas grandi. Chez Lucas on parle de rémission complète car il n’y a plus de trace de la tumeur. C’est en étudiant ces cas-là, celui de Lucas et ceux de ces huit enfants, qu’on réussira à comprendre comment on pourrait modifier ces cellules cancéreuses, avec des médicaments, pour rendre ces tumeurs encore plus sensibles aux traitements.

Quand avez-vous décidé d’arrêter le traitement de Lucas ?

Ce n’est pas une décision que j’ai prise, il m’a en réalité un peu forcé la main. Je me posais effectivement la question de l’arrêt du traitement mais on n’osait pas au vu de son merveilleux succès. Quand j’ai voulu prescrire une ordonnance pour les trois prochains mois, Lucas m’a dit qu’il lui en restait encore. Ce qui était impossible puisque je prescrivais juste la dose qu’il lui fallait à chaque fois. Cela signifiait donc qu’il ne prenait pas toujours son traitement. On a alors décidé avec lui et ses parents d’arrêter, car prendre un traitement sans suivre la prescription n’a pas d’efficacité. C’était il y a un an et Lucas va toujours très bien. On commence donc à penser qu’il est guéri.

Il reste toutefois une tâche à l’IRM de Lucas. Qu’est-ce que cela peut-il être ?

Cela doit être une cicatrice de la biopsie car aucun élément n’indique qu’il s’agisse d’un organisme vivant. L’IRM montre qu’il y a eu quelque chose mais cela ne ressemble en rien à une tumeur. Tous les indices montrent que ce n’est pas vivant mais nous ne sommes pas à l’échelle cellulaire. On regarde les choses de très loin avec une IRM…

Pourtant vous pensez qu’il est guéri.

Une tumeur comme celle-ci, on en meurt dans les deux ans qui suivent le diagnostic. Chez un enfant qui a survécu six ans et qui ne présente plus de tumeur visible dans le cerveau, on peut commencer à penser qu’on a gagné la partie. Mais des Lucas, je n’en connais pas d’autres. Je suis incapable de dire si la maladie peut récidiver ou pas. Pour les cancers qu’on a l’habitude de guérir, on sait qu’au-delà d’un certain délai, il ne reviendra plus. Mais comme on n’a jamais guéri un cancer comme celui de Lucas, on ne dispose pas de suffisamment de connaissances pour anticiper. Je n’ose pas dire guérison, mais cela en prend toutefois le chemin. Pour l’heure, il n’a plus rien et grandi tout à fait normalement.

  • Source : Gustaveroussy.fr, Interview de Jacques Grill le 10 octobre 2023

  • Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet

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