Passionné ou addict au travail ? Il faut parfois se poser la question
12 juin 2024
On s’investit sans compter et on assure autour de soi que « travailler, c’est ma passion ». Mais ne serait-ce pas plutôt du « workaholisme », c’est-à-dire une réelle addiction au travail ?
L’anglicisme workaholisme, traduit par « ergomanie » en français, correspond à une compulsion à travailler bien au-delà de ce qui est demandé. Le Pr Laurent Karila, psychiatre à l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif) a repéré les trois principales caractéristiques de cette addiction :
- être excessivement préoccupé par le travail
- éprouver une motivation forte et incontrôlable à travailler
- consacrer tant d’énergie et d’efforts au travail que cela nuit aux relations personnelles, aux activités de loisirs et/ou à la santé.
Autrement dit, la personne cumule un « hyper-travail pathologique », un surengagement professionnel et une obsession pour le travail (perfectionnisme, stress élevé, refus de déléguer des tâches).
Difficile d’arrêter le cercle vicieux qui peut se mettre en place : la personne ressent une forte pression à travailler afin de répondre à ses propres standards très élevés, ce qui entraîne la reconnaissance de ses superviseurs, renforçant ainsi son comportement.
Finalement, la personne addicte au travail a « un sentiment d’efficacité personnelle en lien avec son emploi plus élevé que le sentiment d’efficacité personnelle liée au reste de sa vie », ajoute le Pr Karila.
Une situation intenable
La fatigue s’installe, la personne lutte et devient moins productive voire cumule les arrêts de travail. Mais comme elle ressent un sentiment de culpabilité et d’incompétence, elle réagit en travaillant davantage. Cela se traduit par une mauvaise qualité de vie, une mauvaise santé, une faible satisfaction au travail et dans la vie, des conflits dans le couple et dans la famille, des problèmes d’anxiété, de sommeil, de stress, de dépression, voire un burn-out (un épuisement physique et psychique lié au travail). De plus, l’ergomanie affecte négativement la vie en entreprise, altérant la communication interne et la prise de décisions.
Se poser les bonnes questions
Le workaholisme comporte donc à la fois une composante comportementale (de longues heures consacrées au travail, etc.) et une composante psychologique (travailler compulsivement, être incapable de se détacher de son travail).
Questionner sa relation au travail mérite donc une sérieuse introspection. Pour savoir si l’on est addict au travail, il faut s’interroger sur certains points comme « Ai-je du mal à demander de l’aide, préférant faire les choses seul(e) ? » « Est-ce que cette impatience se manifeste lorsque j’attends l’aide d’autrui ou lorsqu’une tâche prend trop de temps ? », « Cette sensation de pression, de courir contre la montre, est-elle constante ? », « Est-ce que je reste au bureau après le départ de mes collègues ? » ou encore « Est-ce que je crée des “deadlines” supplémentaires, me mettant ainsi sous pression ? ».
Des conseils-clés pour reprendre le dessus
Pour ceux qui ont répondu « oui » à ces questions, le Pr Laurent Karila délivre plusieurs conseils :
- séparez vos valeurs du travail, fixez des limites (temps, agenda)
- trouvez des loisirs hors travail
- demandez de l’aide car l’ergomanie est une addiction complexe aux multiples facettes (groupe de soutien et thérapeute qualifié dont psychologue clinicien ou psychiatre)
- engagez-vous dans une psychothérapie. Ce travail est en effet primordial pour traiter les sentiments d’infériorité, de peur de l’échec et d’inutilité à l’origine de la relation pathologique entretenue avec le travail.
Idéalement, si notre vie pouvait prendre la forme d’un disque, celui-ci serait divisé en quatre quadrants identiques : « moi-même » (avec des activités qui permettent le repos, la spiritualité, l’estime de soi…), la famille, les loisirs et le travail.
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Source : « Workaholisme ou l’ergomanie » de Didier Truchot, chapitre du livre "Psychologie du Travail et des Organisations : 110 notions clés" de 2019, aux pages 456 à 458 ; Docteur : addict ou pas ? », Pr Laurent Karila, éditions Harper Collins, janvier 2024/608 pages.
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Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet