Réseaux sociaux : « les parents n’ont aucune idée de ce qui se passe dans le portable de leur enfant »

09 octobre 2025

Le 11 septembre, la Commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok a formulé 43 recommandations pour protéger la santé mentale des jeunes du réseau social chinois. Parmi les principales propositions, l’interdiction des réseaux sociaux, hors messagerie, aux moins de 15 ans et un couvre-feu numérique pour les 15-18 ans. Sabine Duflo, psychologue clinicienne, spécialiste des écrans, reçoit les familles à la consultation « Addictions Ados Ecran » à l’hôpital Daumezon de Fleury-les-Aubrais (Loiret). Quelles sont les conséquences des réseaux sociaux sur la santé mentale des adolescents ? Comment les aider à guérir ? Entretien.

Qui sont les adolescents que vous recevez en consultation ?

Sabine Duflo : Des ados qui passent leur journée et leur nuit devant un écran et présentent des signes évidents de mal être. Nous recevons les jeunes à partir du collège. C’est à ce moment, en sixième généralement, qu’ils acquièrent un téléphone portable et que la mise en place de règles et leur respect deviennent compliqués.

Comment se caractérise un comportement problématique ?

En consultation, il se mesure d’abord de façon objective en regardant le temps que les adolescents passent sur leur portable. En moyenne, mes 36 derniers patients passent en moyenne 8h30 par jour sur leur téléphone, 6 heures les jours où ils sont au collège ou au lycée et jusqu’à 15 à 16 heures le week-end. Cette vie passée derrière un écran a des effets sur leur comportement : l’ado rate souvent les cours, parfois il ne va plus ou quasiment plus au collège.  Il « vit » enfermé dans sa chambre avec le téléphone ou la console. Se lever le matin, se laver, partir au collège ou au lycée, faire ses devoirs, voir ses amis, partager les repas avec sa famille … Tout cela disparaît au profit d’une seule activité (ou passivité) : les réseaux sociaux pour les filles et les jeux vidéo en ligne pour les garçons. Ces derniers représentent les deux tiers de mes consultations.

Il y a vraiment des différences de pratiques entre les filles et les garçons ?

Oui. Les filles utilisent TikTok, Instagram, Snapchat. Et les garçons sont sur Twitch, Discord, des plateformes pour regarder ou diffuser des jeux vidéo en direct, où ils peuvent interagir en temps réel via un chat. Ce sont des réseaux sociaux à part entière.

“Chez les filles, le mal-être est très souvent internalisé. Il s’exprime via une violence retournée contre soi.”

On observe aussi des différences concernant les symptômes ?

Chez les garçons, les symptômes sont beaucoup plus évidents. Le temps passé sur des jeux video type FPS, pour first-person shooter : il faut tirer sur les joueurs avant qu’ils ne vous tirent dessus, sous peine d’être éliminé. Il s’agit d’un environnement à la fois stressant et excitant. Quand il faut arrêter, l’ado est ultra-nerveux, souvent agressif. Ces jeux de type action/réaction rendent plus difficiles les expériences nécessitant réflexion et concentration comme les cours, les devoirs…

Chez les jeunes filles, le mal-être est très souvent internalisé. Il s’exprime via une violence retournée contre soi : scarifications, ingestions médicamenteuses, suggérées par les réseaux sociaux. Comme l’adolescente a tendance au départ à cacher ces comportements, les parents et les professionnels de santé mettent beaucoup plus de temps à faire le lien entre l’usage problématique des réseaux et son comportement.

Comment prenez-vous en charge ces jeunes lors des consultations ?

Je leur fais un topo sur la place de ces applications dans la société. Je leur explique pourquoi elles sont gratuites, pourquoi il est si facile de créer des liens en ligne, de trouver les discours que l’on recherche… que leurs besoins sont normaux mais que ces entreprises tirent profit de leurs vulnérabilités. Je donne ensuite des prescriptions : la première porte sur le sommeil. Les parents, qui sont reçus avec l’enfant, doivent veiller à ce qu’il dorme. Un adolescent qui dort avec son téléphone a un sommeil entrecoupé par des réveils nocturnes. Cela impacte l’humeur, les capacités d’apprentissage. Je demande aux parents que tous les écrans soient éteints 30 minutes à 1 heure avant le coucher. Ce moment avant de s’endormir devient alors un moment partagé.

“Il est important de ne pas craquer et de ne pas lui rendre trop vite son portable, sa console, parce que l’addiction est toujours là.”

Et les ados acceptent ?

Ceux qui ont quitté tous liens avec la vie réelle et que j’appelle les ados zombifiés, disent non. Certains parents renoncent à appliquer ce conseil car ils craignent que leur enfant s’en prennent physiquement à eux. Je demande à la famille de jouer le jeu malgré tout afin que l’ado voie qu’il y a une vie autour de lui et que ses proches l’attendent derrière la porte pour refaire partie de cette famille. Cela finit par fonctionner.

Parfois, cela n’est pas suffisant. Notamment avec des jeunes filles enfermées dans des activités et des pensées mortifères, entretenues par les réseaux. Dans ce cas je demande aux parents de retirer purement et simplement le portable et de le remplacer par un téléphone sans connexion internet.

Cela peut s’apparenter à la prise en charge de la dépendance à l’alcool ?

Oui parfaitement. A un certain niveau d’alcoolisme, seul le sevrage fonctionne. Après la colère, le jeune finit par sortir de sa chambre, à s’intéresser aux autres, à la vie, et retourne au collège. Ensuite il est important de ne pas craquer et de ne pas lui rendre trop vite son portable, sa console, parce que l’addiction est toujours là.

“Il faudrait pouvoir refuser le téléphone connecté avant 15 ans et le remplacer par un téléphone à 9 touches.”

N’y a-t-il pas un manque d’informations des parents ?

Ce n’est plus tellement vrai aujourd’hui. Mais, ce qui est sûr, c’est que par le biais des algorithmes, les parents n’ont aucune idée de ce qui se passe dans le portable de leur enfant et de ce qu’il y voit, y fait. Ils tombent des nues lorsqu’ils le découvrent !

Que pensez-vous du contrôle parental ?

Il s’agit d’une demi-mesure qui ne fonctionne pas : l’ado ne réclame pas un téléphone pour appeler ses parents à la sortie du collège mais pour aller sur les réseaux. Les adolescents réussissent toujours à déverrouiller le contrôle parental. Il faudrait pouvoir refuser le téléphone connecté avant 15 ans et le remplacer par un téléphone à 9 touches.

L’école et l’Education nationale a aussi un rôle à jouer ?

Bien sûr ! Les jeunes sont moins en difficulté lorsqu’ils sont scolarisés dans des établissements qui ont strictement interdit l’usage du portable. Les effets observés dans ces collèges sont réels : amélioration du climat scolaire, comportements plus apaisés, meilleure concentration, amélioration des compétences scolaires. C’est exactement la même chose au sein des familles ! On ne peut pas dicter leur conduite aux parents mais les pouvoirs publics ont un rôle à jouer et notamment celui d’interdire les téléphones connectés dans les établissements qui reçoivent des adolescents. Les parents pourront alors s’appuyer sur cette interdiction pour faire la même chose chez eux. C’est ce qui s’est passé avec l’alcool et le tabac et cela a porté ses fruits.

  • Source : Interview de Sabine Duflo

  • Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet

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