Traitements du cancer du sein : une étude pour mieux suivre les femmes à risque de cardiotoxicité
20 décembre 2024
Certains médicaments sont efficaces contre le cancer mais au prix d’effets indésirables, parfois graves, sur le cœur. Il est cependant difficile de prédire quels patients seront concernés. C’est le but de l’étude que s’apprête à lancer le Dr Damien Legallois, cardiologue (Caen). Lui et son équipe espèrent mettre au point grâce à l’intelligence artificielle un outil capable de prédire le risque de cardiotoxicité propre à chaque patiente atteinte d’un cancer du sein.
La cardiotoxicité est un effet indésirable majeur, spécifique au muscle cardiaque. Certains médicaments, notamment anticancéreux, sont connus comme étant cardiotoxiques. Les manifestations de la cardiotoxicité sont très variables : arythmies, insuffisance cardiaque, maladie coronarienne, maladie des valves cardiaques, hypertensions artérielle et pulmonaire, accident vasculaire cérébral, complications péricardiques, maladies thrombo-embolitiques.
« Ces dernières années, les traitements contre le cancer progressent énormément. Grâce à eux, le pronostic de certains cancers a radicalement changé. Mais il y a une contrepartie. Ces médicaments qui sont très efficaces contre les cancers peuvent aussi avoir des effets indésirables, parfois graves, sur le cœur et le système cardiovasculaire en général », résume Damien Legallois, cardiologue au CHU de Caen, lauréat de l’Appel à Projet 2023 sur la thématique “Cœur & Cancer” de la Fondation Cœur et recherche.
Le projet ? ML-Cardiotox. L’objectif ? Prédire le risque de cardiotoxicité pour une patiente donnée atteinte d’un cancer du sein afin de mettre en place un suivi personnalisé. Les deux médicaments concernés par l’étude sont les anthracyclines et les anti-HER2, réputés cardiotoxiques. Ils sont principalement responsables d’insuffisance cardiaque, et largement utilisés dans le traitement du cancer du sein.
Des milliers de femmes concernées chaque année
A-t-on les chiffres des patientes qui présentent une cardiotoxicité ? « Ces chiffres sont assez peu connus, car globalement les études qui valident les médicaments anticancéreux portent avant tout sur l’efficacité du médicament. La cardiotoxicité est moins documentée et on a moins d’informations sur ce sujet. Ainsi, pour savoir quels patients subissent une cardiotoxicité, on est contraint de se tourner vers les données de la vraie vie qui sont plus difficiles à récupérer, contrairement aux suivis très protocolaires mis en place dans une étude. Les données auxquelles on a accès sont donc très parcellaires », précise le Dr Legallois.
Selon ces données, le spécialiste estime entre 1 à 17 % le nombre de femmes concernées par une cardiotoxicité un an après le traitement. Ainsi, sur les 60 000 femmes qui, chaque année, sont diagnostiquées d’un cancer du sein, environ deux tiers seront traitées avec l’un des deux médicaments. En prenant la fourchette haute, plus de 6 500 femmes pourraient être concernées. « Sachant qu’une partie de cette cardiotoxicité peut survenir 5, 10 voire 15 ans après le traitement », précise encore le cardiologue.
Des facteurs de risque invisibles pour l’œil humain
Près de 600 femmes vont être recrutées pour cette étude. Elles seront suivies sur un an – selon le protocole habituel. Les données seront ensuite traitées par des algorithmes d’intelligence artificielle appelés machine learning. « Il s’agit d’un outil d’intelligence artificielle, de plus en plus développée dans la médecine, afin de capter des liens entre différentes pathologies et facteurs de risque qui sont généralement difficiles à identifier au moyen des techniques classiques », explique dans une vidéo captée par la fondation Cœur et Recherche le Dr Trecy Gonçalves, de l’unité de cardio-oncologie de l’hôpital Lariboisière-Saint-Louis, membre d’une équipe spécialisée dans le machine learning.
Actuellement, un suivi renforcé est déjà préconisé pour les femmes qui présentent un facteur de risque de cardiotoxicité ; l’âge, l’hypertension, le diabète, le tabac… Ainsi, une jeune femme de 20 ans, sans antécédent ni facteurs de risque se verra proposer un protocole de suivi très léger car son risque cardiotoxique est considéré comme faible. « Mais cette dichotomie, globalement, ne fonctionne pas très bien. Les mailles du tamis pour le suivi individualisé sont assez grossières, et il y a de nombreux paramètres qu’on ne prend pas en compte, regrette le Dr Legallois. Nous souhaitons mettre au point un outil pour mieux stratifier le risque et concentrer nos ressources sur les patientes qui en ont besoin, ce qu’on appelle une personnalisation du risque. »
Grâce à cette étude, le cardiologue et son équipe espèrent mettre le doigt sur de nouveaux facteurs de risque de cardiotoxicité. « Par exemple, un signe sur un électrocardiogramme (ECG) normal, invisible pour l’œil humain, pourra être identifié comme facteur de risque par l’IA qui aura retrouvé ce même signe sur des centaines d’autres ECG », illustre le médecin. Un suivi adapté et un traitement pour protéger le cœur des femmes à risque pourront alors être mis en place avant même la survenue d’une atteinte cardiaque.
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Source : Interview du Dr Damien Legallois, site de la Fondation Cœur et recherche, ministère de la Santé et des Services sociaux du Canada.
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Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet