Une 3e patiente guérit du VIH : une découverte majeure
16 février 2022
C’est le troisième cas recensé dans le monde. Une patiente séropositive au VIH est en rémission. La nouveauté : elle a reçu une greffe de cellules souches de sang de cordon ombilical. Pour Nicolas Manel, responsable de l’équipe « Immunité innée » à l’Institut Curie, plus qu’une excellente nouvelle, c’est une « découverte majeure ». Il nous explique pourquoi.
Deux cas de rémission au VIH résultant d’une greffe de cellules souches provenant d’une moelle osseuse avaient déjà été observés. Le premier, connu sous le nom de « patient de Berlin », en rémission pendant 12 ans, a été considéré comme guéri (avant de décéder d’une leucémie en septembre 2020). Le « patient de Londres » est quant à lui en rémission depuis plus de 30 mois.
Ce troisième cas, présenté par des chercheurs américains lors de la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes, apporte des nouveautés qui ont de quoi réjouir. Les scientifiques décrivent la patiente comme une femme métisse d’âge moyen (une information qui a son importance). Cette dernière a développé une leucémie aiguë myéloïde – une maladie potentiellement mortelle affectant la moelle osseuse – quatre ans après avoir été diagnostiquée positive au VIH.
La promesse du sang de cordon
Pour traiter ce cancer du sang, les spécialistes se sont tournés vers une source spécifique de cellules souches : celles issues du sang de cordon ombilical. Pourquoi ? Comme l’explique Nicolas Manel, « le don de moelle dépend du bon vouloir de la population générale, et d’être volontairement inscrit pour le don de greffe. Le fait que la patiente présente un héritage génétique mixte complexifie la possibilité de trouver un donneur de moelle (un adulte) compatible ».
Ainsi, « le sang de cordon est une source abondante de cellules souches, avec un grand panel de comptabilité génétique », continue-t-il. « Ces cellules, capables de régénérer l’ensemble du système immunitaire, ont un potentiel fantastique comme traitement pour de nombreuses maladies, et comme outil pour la recherche fondamentale et médicale. »
Seul souci, bien qu’il s’agisse d’un traitement de premier choix contre la leucémie aiguë myéloïde, le sang de cordon met des semaines à s’installer et à générer suffisamment de globules blancs pour éloigner les infections. Pour contourner ce problème, l’équipe médicale a conçu une stratégie en deux volets : recevoir une greffe d’un parent compatible pour lui fournir une défense temporaire, puis des cellules souches de cordon qui peuvent lentement générer des globules blancs.
Plus de traces de VIH
Bonus supplémentaire, l’ADN des cellules de cordon portait des copies de la mutation CCR5 delta-32. Cette petite différence génétique modifie l’expression du co-récepteur CCR5 qui n’est autre que la porte d’entrée qu’utilise le VIH pour pénétrer dans les cellules du corps. Sans un accès facilité aux globules blancs, le virus ne peut ni s’y glisser ni les détruire.
Résultat, environ trois mois après sa greffe, tous les lymphocytes T et les cellules myéloïdes (qui jouent un rôle central dans l’immunité innée) de la patiente provenaient des cellules souches du sang du cordon ; 37 mois après, la patiente a cessé son traitement antirétroviral. Et selon l’équipe, aucune trace de VIH n’a été détectée chez elle durant les 14 mois suivants.
Les cellules souches du sang de cordon ont en outre beaucoup à offrir. « C’est pourquoi le banking systématique du sang de cordon, qui se récupère à la naissance à partir du placenta (qui va sinon à la poubelle), permet d’accumuler un grand nombre de “donneurs” et de de couvrir pratiquement l’ensemble des diversités génétiques ».
Rester prudent
Pour autant, cité par CNN, le Dr Anthony Fauci, Directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases aux Etats Unis, précise que la prudence reste de mise. « Ce n’est pas le genre de traitement approprié pour quelqu’un qui n’a pas besoin d’une greffe. Cette dernière peut causer de nombreux problèmes de santé. Il se trouve que la patiente souffrait d’une maladie sous-jacente nécessitant une greffe de cellules souches. Il ne faut pas penser que cela est applicable aux 36 millions de personnes vivant avec le VIH. »
La France, spectatrice des avancées majeures ?
En France, il existe bien une banque de sang de cordon, par exemple à l’Hôpital Saint Louis. Malheureusement, comme le souligne Nicolas Manel, « sur cet aspect comme beaucoup d’autres, nous avons pris beaucoup de retard sur l’organisation du banking et les ressources restent encore très limitées. Là encore, le sous-investissement chronique en recherche, sciences et médecine, et les lenteurs et complexités administratives, nous placent en spectateur et non pas acteur de ces avancées majeures. »
A noter : cette découverte a été faite dans le cadre de l’étude IMPAACT P1107. Cette dernière vise à observer comme réagissent des patients vivant avec le VIH après une greffe de cellules souches de sang de cordon pour le traitement d’un cancer.
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Source : Interview de Nicolas Manel, responsable de l’équipe « Immunité innée » à l’Institut Curie
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Ecrit par : Vincent Roche – Edité par : Emmanuel Ducreuzet