VIH : pourquoi la « patiente de Marseille » est-elle en rémission ?

31 janvier 2025

A la mi-janvier, les hôpitaux de Marseille (AP-HM) annonçaient la rémission d’une patiente atteinte du VIH après une greffe de moelle osseuse. Quels sont les mécanismes à l’œuvre ? Explications avec le Pr Olivier Schwartz, chef de l’unité Virus et Immunité de l’institut Pasteur.

On apprenait le 17 janvier qu’une patiente était en rémission du VIH après une greffe de moelle osseuse. Huitième cas dans le monde, après le patient de Berlin, le patient de Londres ou plus récemment celui de Genève, la « patiente de Marseille » est le premier cas français à se remettre du VIH après une allogreffe de moelle. Agée d’une soixantaine d’années (son identité n’est pas connue), cette patiente de l’hôpital Sainte-Marguerite de Marseille (Bouches-du-Rhône), a été diagnostiquée positive au VIH en 1999. Malgré des traitements antirétroviraux efficaces à partir de 2010, elle a déclaré une leucémie myéloïde aiguë en 2020. Elle a alors bénéficié d’une greffe de moelle osseuse de la part d’un donneur qui présentait une mutation génétique Delta 32 sur le gène CCR5. Cette mutation empêche le virus de pénétrer à l’intérieur des cellules.

En rémission après une greffe de moelle osseuse, comment cela fonctionne-t-il ?

« Quand une personne vit avec le VIH, même si elle est sous traitement antirétroviral et que sa charge virale est indétectable, il existe toujours des cellules dites ‘réservoir’ dans lesquels le virus peut rester endormi et peut se réveiller lors de soubresauts du système immunitaire. Les lymphocytes se mettent à proliférer et si, dans l’un de ces lymphocytes, se trouve du VIH endormi, celui-ci peut alors se réveiller », explique le P. Olivier Schwartz à la tête de l’unité Virus et immunité de l’Institut Pasteur.

La greffe de moelle osseuse suppose d’éliminer toutes les cellules cancéreuses du patient en amont de la greffe, par traitement chimique ou irradiation. « Sont alors détruites les cellules tumorales mais aussi les cellules infectées par le VIH de façon latente ». La greffe de moelle est alors effectuée, elle remplace les cellules sanguines du patient par celle du donneur, ce qui permet à ce dernier de reconstituer un nouveau système immunitaire.

Une mutation génétique rare

Sur les 7 autres cas de rémission du VIH dans le monde, 6 ont reçu une greffe de la part d’un donneur porteur de cette mutation génétique rare ; moins d’1 % de la population mondiale. « Pour pénétrer dans une cellule, le VIH utilise le récepteur CDT4 et un corécepteur, le CCR5 », explique le Pr Olivier Schwartz. Mais la mutation entraîne une perte de fragment d’ADN du gène qui l’empêche de fonctionner normalement. « Sans ce corécepteur, le virus est incapable de pénétrer dans les cellules et de les infecter. C’est pourquoi on recherche les personnes porteuses de cette mutation lors des greffes de moelle pour traiter la leucémie d’une personne atteinte de VIH », poursuit le spécialiste.

Après la greffe, la patiente de Marseille a poursuivi son traitement antirétroviral avant son arrêt en octobre 2023. Elle a subi des examens virologiques poussés, notamment des tests ultra-sensibles de charge virale et une recherche d’ADN pro-viral, soit les fameux réservoirs qui auraient pu être encore présents dans l’organisme de la patiente. L’ensemble de ces tests s’est avéré négatif.

La greffe de moelle osseuse, un traitement très lourd et à risque

Bien qu’il s’agisse d’une avancée précieuse pour la recherche contre le VIH, le cas de cette patiente n’est pas généralisable à l’ensemble des PVVIH (patients vivants avec le VIH). « On ne peut évidemment pas faire de greffe de moelle à tout le monde. C’est un traitement réservé aux personnes atteintes de certaines formes de leucémie, un traitement très lourd médicalement et à risque. La mortalité associée à la greffe de moelle est de l’ordre de 30 % environ. Ce n’est absolument pas un traitement courant qui peut être réalisé en routine. D’autant plus que le traitement antirétroviral contre le VIH est efficace et des progrès sont réalisés notamment avec des molécules d’action plus longue qui permettent d’alléger les protocoles », souligne le Pr Schwartz.

Quoi qu’il en soit, il faudrait trouver un donneur compatible sur le plan histologique et porteur de la fameuse mutation CCR5 Delta32. Cette dernière condition est importante, puisque le seul fait de remplacer les cellules sanguines d’un patient séropositif par une greffe de moelle osseuse ne suffit pas à éradiquer le virus. Une étude de 2020, suggère qu’une phase d’activation élevée des lymphocytes CDT4 juste après la greffe réactive du virus dormant qui s’en prend immédiatement aux cellules du donneur nouvellement présentes. Les scientifiques définissaient ce moment comme une fenêtre de vulnérabilité et soulignaient l’importance de maintenir les traitements ARV après une greffe.

Plusieurs pistes pour éradiquer les réservoirs viraux

Toutefois, « ces quelques patients en rémission nous confirment de façon claire et indéniable qu’on peut réussir à éliminer complétement le réservoir chez une personne infectée. Même si la stratégie d’irradiation et de greffe de moelle n’est pas applicable, cela renforce les recherches qui visent à trouver d’autres méthodes pour éliminer ces réservoirs », note le Pr Schwartz.

Plusieurs pistes sont suivies et notamment la compréhension des contrôleurs du VIH. De rares personnes parviennent à contrôle le virus grâce à leurs cellules T CD8 qui maintiennent la charge virale au plus bas, sans traitement ARV. Le cas des contrôleurs post-traitement est également observé de près. Ceux-ci sont capables de maîtriser leur charge virale après l’arrêt du traitement.

  • Source : Science, AP-HM, Interview du Pr. Olivier Schwartz

  • Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet

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