Violences sexuelles dans l’enfance : quelle vie amoureuse à l’âge adulte ?
17 juin 2024
Les séquelles des violences sexuelles subies dans l’enfance sont très diverses. A l’âge adulte, de nombreuses victimes peinent à construire une relation amoureuse et rencontrent des difficultés profondes avec l’intimité. Clémentine Gérard, psychologue clinicienne et Lisa MacManus, psychothérapeute spécialisée en traumatologie, nous aident à comprendre ces mécanismes.
Selon les chiffres de l’OMS, 20 % des femmes et 5 à 10 % des hommes dans le monde auraient subi des violences sexuelles dans l’enfance. Et selon une enquête de l’association Mémoire traumatique menée en France auprès de 1 214 victimes de violences sexuelles âgées de 15 à 72 ans, 81 % des victimes étaient mineures au moment des premières violences et 1 victime sur 2 avait moins de 11 ans. Ces violences engendrent de lourdes séquelles, très variables ; souffrances psychiques, physiques, perte d’estime de soi, troubles addictifs… Les conséquences, à l’âge adulte, s’observent aussi, bien sûr, dans le domaine affectif et amoureux. « C’est une porte d’accès dans la prise en charge des traumatismes infantiles », explique Clémentine Gérard, psychologue clinicienne, spécialisée dans l’accompagnement des adultes ayant subi des traumatismes dans l’enfance. Ces adultes, qui ont conscience d’avoir subi des abus, réalisent qu’ils ne parviennent pas à s’épanouir dans une relation amoureuse et cherchent ainsi des clés pour avancer, auprès d’un spécialiste.
« Parfois, certaines victimes n’ont pas conscience des faits. On constate chez ces personnes un mal-être diffus, une difficulté dans l’intimité et dans les relations amoureuses sans que la personne ne comprenne d’où cela vient », ajoute Lisa MacManus, psychothérapeute à Bruxelles, spécialisée en traumatologie. Toutes deux animent dans la banlieue de Bruxelles, un groupe de paroles accueillant des adultes ayant subi des violences sexuelles dans l’enfance.
Un lien d’attachement désorganisé
Même si les manifestations à l’âge adulte des violences subies sont très diverses, nos spécialistes notent que chez une majorité de victimes, on observe des difficultés à nouer des liens d’intimité. « Quand il s’agit de violences intrafamiliales notamment, on retrouve à minima un attachement insécure sinon un attachement désorganisé chez l’enfant qui ensuite devient adulte. Cet adulte va reproduire cela dans ses relations les plus proches », souligne Lisa MacManus.
On peut alors retrouver un fort sentiment d’insécurité permanent et/ou une forte dépendance affective. L’adulte qui a été victime de violences sexuelles mais aussi de l’emprise et de la manipulation qui ont accompagnées ces violences, peut, inconsciemment, toujours chercher ce même type de relations en s’approchant des modèles d’attachement qu’il connaît. « Dans le cerveau des personnes traumatisées, certains indicateurs de dangers n’ont pas été activés. Ces personnes vont vers ce qu’elles connaissent, des rapports et des relations humaines vécus sur un mode d’emprise et d’objectification », ajoute la psychothérapeute.
Des flash-backs insurmontables
Sur le plan sexuel, là encore, les conséquences sont très variables ; certaines personnes étant dans une hyposexualité quand d’autres sont, au contraire, dans une hypersexualité. « La victime, à l’âge adulte, peut se retrouver avec des images des violences passées ou des ressentis d’intrusion. Au lieu d’être en 2024, elle se retrouve projetée des années auparavant, revivant les mêmes épisodes traumatisants », détaille Lisa MacManus. La barrière de l’intimité peut alors s’avérer infranchissable. « Cela représente trop de danger pour les victimes. Les flash-backs dans l’intimité peuvent totalement brouiller la réalité. On ne sait plus qui est son ou sa partenaire. On peut imaginer qu’il représente un danger, des confusions se mettent souvent en place », ajoute Clémentine Gérard.
Et pour les personnes qui vont présenter une hypersexualité, celles-ci peuvent avoir des comportements à risque et se mettre en danger. « Dans l’hypersexualisation, on retrouve la croyance erronée qu’avoir de la valeur aux yeux d’un partenaire passe par la sexualité, à tel point que la personne devient en quelque sorte l’objet de l’autre. Les victimes peinent alors à devenir sujet de cette relation et à poser leurs propres limites. Elles cherchent de la valeur auprès de l’autre en étant un objet sexuel ».
“Croire la victime. Sans banaliser. Sans normaliser”
Une psychothérapie pourra aider la victime à surmonter ces difficultés et à s’épanouir dans une relation amoureuse équilibrée. « La première chose est de croire la victime. Sans banaliser. Sans normaliser. C’est le postulat de départ. Et à partir de là on commence le travail thérapeutique. L’EMDR, surtout pas dans l’immédiat mais après plusieurs mois de thérapie, peut s’avérer très efficace », lâche Lisa MacManus. Quant aux groupes de paroles, ils sont également précieux pour les victimes, notamment concernant la sexualité. « Les groupes de parole renforcent la sensation de partager des choses avec d’autres victimes et donnent, grâce à la solidarité du groupe, la force d’entreprendre des démarches et de verbaliser les difficultés. En cabinet privé, c’est parfois difficile de parler de sexualité alors que les groupes de paroles permettent d’oser dire des choses très intimes. C’est très bénéfique », compète Clémentine Gérard.
Et quand les victimes d’agressions sexuelles dans l’enfance parviennent à fonder un couple solide, le conjoint ou la conjointe s’avère une ressource précieuse à leur reconstruction. Pour Clémentine Gérard, « ces personnes devraient pouvoir bénéficier d’un travail thérapeutique car accompagner une victime de violences sexuelles est très difficile. Et souvent ces partenaires nous demandent comment aider leur proche. »
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Source : Association Mémoire Traumatique, Interviews de Clémentine Gérard et Lisa MacManus
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Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet