Drépanocytose : une maladie génétique de l’hémoglobine

19 juin 2024

La drépanocytose est la maladie génétique dépistée la plus fréquente en France, caractérisée par une anomalie de l’hémoglobine. Si les traitements ont permis d’allonger considérablement l’espérance de vie des patients, ceux-ci vivent en moyenne 20 ans de moins que la population générale. Portrait d’une maladie peu connue, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la drépanocytose, avec la Pr Mariane de Montalembert, de l’hôpital Necker-Enfants malades (Paris), directrice du réseau francilien de soin  des enfants drépanocytaires.

Qu’est-ce que la drépanocytose ?

Mariane de Montalembert : Il s’agit d’une maladie génétique liée à une mutation des gènes qui produisent l’hémoglobine. Cette mutation est apparue, voilà 7 000 ans, essentiellement en Afrique. En raison des migrations de population, elle est devenue fréquente, d’abord aux Antilles, puis en Amérique et en Europe. Avec un bébé dépisté sur 1 300 naissances en France, il s’agit de la maladie dépistée à la naissance la plus fréquente. Le monde entier, dont l’Europe et en particulier la France sont déjà et seront encore plus confrontés à cette maladie dans les prochaines années, alors qu’elle reste très mal connue.

Pourquoi la drépanocytose s’est-elle d’abord développée En Afrique ?

Pas vraiment. Toutefois, on sait que les personnes porteuses de cette mutation sont relativement résistantes au paludisme. Il est donc possible qu’elle se soit développée en Afrique car elle conférait une sorte de résistance au paludisme, même si les gens malades mouraient beaucoup plus jeunes que les autres.

Concernant la transmission, les deux parents doivent être porteurs d’un gène anormal pour transmettre la maladie à leur enfant ?

Il s’agit d’une maladie autosomale récessive, c’est-à-dire qu’un enfant est malade s’il hérite d’une hémoglobine anormale de chacun de ses parents. Les parents, qui ont un gène normal et un “différent”, sont des porteurs dits “sains”. Ils ne sont pas malades mais l’enfant a un risque sur quatre d’être malade.

“La présence d’hémoglobine S dans les globules rouges les rend rigides, les empêchant de se déformer correctement afin de se faufiler dans les vaisseaux sanguins et apporter l’oxygène aux cellules.”

 

Concrètement, que se passe-t-il lorsque l’enfant a la maladie ?

Lorsque les enfants ont les deux gènes modifiés, au lieu de fabriquer de l’hémoglobine A, ils fabriquent de l’hémoglobine drépanocytaire, appelée hémoglobine S. Ces globules rouges prennent alors une forme en croissant ou en faucille appelée falciformation. La forme SS est la forme la plus courante de la drépanocytose. Il existe d’autres associations responsables de symptômes, l’hémoglobine SC et l’hémoglobine S-bêta-Thalassémie. En France, 70 à 80 % des personnes drépanocytaires sont SS. La présence d’hémoglobine S dans les globules rouges les rend rigides, les empêchant de se déformer correctement afin de se faufiler dans les vaisseaux sanguins et apporter l’oxygène aux cellules.

A quel âge est habituellement réalisé le diagnostic de la drépanocytose ?

La maladie est dépistée en France depuis 2000. C’est le cas dans de nombreux autres pays européens, également aux Etats-Unis. Mais faute de moyens suffisants, elle n’est quasiment jamais dépistée en Afrique. Hors programmes de dépistage, l’âge moyen au moment du diagnostic est de 18 mois à 2 ans. Si l’enfant n’est pas dépisté à la naissance, la drépanocytose est cependant assez simple à diagnostiquer. Face à une anémie, une crise douloureuse, une infection… on recherche la drépanocytose. Ce n’est pas une pathologie qui souffre d’errance diagnostique. Par ailleurs, on conseille à tous les enfants arrivant en France de réaliser une étude de l’hémoglobine. Le test est peu coûteux et très utile.

Quelles sont les premières manifestations de la maladie ?

Les premières manifestations sont des crises douloureuses car si les globules rouges ne parviennent pas à se faufiler à travers les vaisseaux, les tissus souffrent par manque d’oxygène. On retrouve également une anémie car les globules rouges ne sont pas suffisamment robustes pour vivre durant 120 jours (durée de vie moyenne d’un globule rouge, ndlr) et explosent généralement au bout de 10 jours. Les patients souffrent d’une anémie permanente, plus ou moins sévère, mais qui peut s’aggraver lors d’agression comme une infection.

Les infections sont aussi très nombreuses. En effet, le premier organe compromis dans la drépanocytose est la rate, un organe qui produit de nombreux systèmes de défense contre les infections. Ainsi, chez les enfants, les premières causes de décès en 2024 dans le monde, ce sont les infections à pneumocoque, dues aux défaillances de la rate. Viennent ensuite les anémies sévères liées au mauvais fonctionnement de la rate (les globules rouges s’accumulent dans la rate où ils sont détruits. Celle-ci augmente de volume, c’est la séquestration splénique qui nécessite une transfusion sanguine d’urgence, ndlr). La troisième cause de décès, ce sont les accidents vasculaires cérébraux. Les globules rouges ne parviennent pas à se faufiler et forment des bouchons. Lorsque ceux-ci surviennent au niveau du cerveau, le risque est de déclencher un AVC.

“L’espérance de vie est diminuée d’environ 20 ans par rapport à la population générale.”

 

Quelle est l’espérance de vie des patients ?

Dans les pays riches, 98 % des enfants drépanocytaires deviennent adules. La grande majorité d’entre eux ont vécu les bouchons de globules rouges, autrement dit des occlusions vasculaires, provoquant des atteintes des organes. Souvent, ils présentent une ou plusieurs insuffisances d’un ou plusieurs organes. L’espérance de vie est diminuée d’environ 20 ans par rapport à la population générale. Les adultes meurent à cause de ces insuffisances, à la suite des bouchons qui se sont accumulés au cours de la vie et qu’on ne parvient pas vraiment à éviter.

Comment sont pris en charge les enfants ?

On réalise tous les vaccins nécessaires pour éviter les infections à pneumocoques notamment, et on leur prescrit le cas échéant un antibiotique. On prévient les accidents vasculaires cérébraux à l’aide de traitements appropriés et la réalisation d’imageries cérébrales très spécifiques. Un médicament, l’hydroxyurée, est en outre un excellent médicament qui évite la formation des bouchons. Il est aussi important que les familles soient informées afin de reconnaître les crises graves. Elles reçoivent pour cela une éducation thérapeutique.

Peut-on les soigner ?

La greffe de moelle osseuse, pratiquée depuis 40 ans, permet de les guérir car on remplace la moelle qui fabrique des globules rouges drépanocytaires par des globules rouges normaux. Toutefois, il y a une limite : il est difficile d’identifier des donneurs compatibles.

La thérapie génique est un traitement prometteur apparu voici une dizaine d’années. Toutefois, en raison de son coût notamment (1,5 million d’euros par patient) ce traitement sera très difficile à généraliser. Il s’agit de prélever des cellules souches hématopoïétiques (qui peuvent se différencier en cellules sanguines) sur le patient. On corrige leur génome en ajoutant un gène qui va contrer la falciformation ou on corrige l’anomalie. Il s’agit d’une manœuvre hautement compliquée et sophistiquée. Pour l’heure, 44 patients ont bénéficié de cette thérapie en France.

“La maladie reste un tabou.”

 

Donc, deux traitements existent pour guérir les patients mais l’un comme l’autre, pour des raisons différentes, sont difficiles à appliquer ?

C’est très cruel mais très vrai. Il faut en outre savoir que les manifestations de la maladie drépanocytaire sont très variables. Certaines personnes souffrent de peu de symptômes et peuvent vivre, tant sur le plan personnel que professionnel, quasiment normalement. D’autres, pour des raisons très obscures, peuvent être très malades. Une partie de la recherche consiste à essayer de comprendre pourquoi la maladie peut être si différente entre deux personnes.

Pourquoi disiez-vous en début d’entretien que la drépanocytose est trop peu connue ?

Jusqu’à récemment, la formation médicale des professionnels de santé était très insuffisante concernant cette maladie. Cette situation est en train de changer, mais des générations de médecins n’y sont pas du tout formées. En outre, étant étroitement liée à l’immigration, la maladie reste un tabou. Beaucoup de patients en ont honte et la ressentent comme une stigmatisation. Les patients sont aussi peu informés, ils n’en parlent pas entre eux. De plus, il n’existe pas d’association de patients, alors qu’elle concerne près de 30 000 patients en France !

  • Source : Interview de Mariane de Montalembert, le 17 mai 2024

  • Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet

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