L’entrée en EHPAD : passer le cap sans perdre pied

13 novembre 2025

Franchir la porte d’un EHPAD est déjà difficile lorsqu’il s’agit de rendre visite à un proche, alors pour y poser ses valises… Sous quel angle regarder cette étape majeure, souvent chargée d’émotions et d’appréhension ? « L’entrée en EHPAD, comment s’adapter au changement de vie » est le titre de l’ouvrage* publié par la Fondation Partage & Vie aux Presses Universitaires de France. Pour Destination santé, Delphine Langlet, sa directrice générale, déconstruit quelques idées reçues sur l’adaptation à cette nouvelle vie.

Dans un contexte où la population âgée augmente – plus de 25 millions de personnes auront plus de 65 ans en France d’ici 2050 (INSEE) – l’entrée en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) est un enjeu de société. Ce passage, souvent vécu comme une rupture, moins comme une transition, concerne un nombre croissant de personnes confrontées à la perte d’autonomie, aux troubles cognitifs ou à la nécessité d’une aide quotidienne.

Pourquoi l’entrée en EHPAD bouleverse-t-elle à ce point la vie du nouveau résident, et de ses proches ?

Delphine Langlet : Certaines entrées en EHPAD se déroulent de manière fluide, bien acceptées par les résidents et leurs proches. D’autres peuvent être vécues comme un bouleversement : dans environ la moitié des situations, l’entrée en établissement est brutale, non anticipée. Car même lorsque la dépendance s’aggrave, la personne ne se projette pas nécessairement dans une entrée imminente en EHPAD. Le plus souvent, un événement déclencheur précipite la décision : hospitalisation, chute, dégradation soudaine de l’état de santé… Ces épisodes de crise font apparaître l’EHPAD comme la seule solution possible, ou du moins la plus réaliste. La personne passe alors directement de son domicile à l’hôpital, puis à son nouveau lieu de vie, qu’elle n’a pas toujours choisi.

Le premier bouleversement, c’est le déracinement, le passage d’un lieu empli de souvenirs vers une chambre au sein d’un bâtiment collectif. Mais il peut aussi s’agir d’une opportunité. Certaines personnes, à domicile, vivent des situations extrêmement douloureuses, comme l’isolement social et un manque d’accompagnement. L’environnement collectif de l’EHPAD, les services proposés, les liens qui se créent peuvent alors représenter un vrai réconfort. Cela implique néanmoins une transformation profonde de la manière d’interagir et de tisser des liens au quotidien.

Le vécu des proches compte-t-il également ?

Delphine Langlet : L’entourage du résident perçoit souvent l’entrée en EHPAD comme le début d’une dernière étape de la vie, avec des émotions plus fortes chez les proches que chez les résidents. Les familles ressentent fréquemment une forme de culpabilité de ne pas pouvoir maintenir l’accompagnement à domicile. Elles se sentent parfois dépossédées de leur rôle d’aidant, un rôle certes éprouvant, mais aussi porteur de sens. Le sentiment d’abandon peut précéder un soulagement progressif, une fois constaté que leur parent bénéficie désormais de soins adaptés, d’une présence constante et d’un environnement sécurisant. Les résidents, quant à eux, expriment souvent le sentiment d’être entourés, protégés et accompagnés.

De plus, environ 70 % des résidents accueillis en EHPAD, en tout cas au sein de la Fondation Partage et Vie, souffrent de maladies neuro-évolutives. Ces troubles entraînent des difficultés de mémoire, une désorientation progressive, et donc une fragilité particulière face au changement. L’entrée en EHPAD vient souvent perturber des repères déjà fragilisés. En établissement, il faut les reconstruire, peu à peu.

Parmi les enjeux psychologiques, médicaux et sociaux, lesquels vous apparaissent déterminants dans la réussite de l’accompagnement en EHAPD ?

Delphine Langlet : D’abord, l’enjeu médical. Les personnes accueillies présentent souvent plusieurs pathologies chroniques, qui nécessitent une prise en soins rigoureuse et coordonnée.

Vient ensuite l’enjeu psychologique. Le soutien apporté aux résidents dans ce moment de transition est essentiel, avec des psychologues et des équipes pluridisciplinaires attentives à la manière dont chacun vit son entrée en EHPAD. Pour les personnes capables d’exprimer ce qu’elles ressentent, le dialogue permet d’identifier les attentes, les inquiétudes, les points d’appui. Pour celles qui souffrent de troubles neuro-évolutifs avancés, c’est l’ensemble de l’équipe qui doit être en observation permanente : alimentation, sommeil, interactions sociales, participation aux activités. Enfin, l’enjeu social. Un EHPAD reste avant tout un lieu de vie. Il s’agit de permettre à la personne de recréer les conditions d’une existence quotidienne stable, stimulante, et adaptée à sa situation.

Comment mieux anticiper l’arrivée en EHPAD ?

Delphine Langlet : C’est d’abord identifier suffisamment tôt les besoins qui pourraient apparaître plus tard. Repérer, dès les premiers signes de fragilité, les situations qui pourraient conduire à envisager une entrée en EHPAD dans de bonnes conditions. Lorsqu’une personne commence à souffrir d’isolement ou que les soins nécessaires à domicile deviennent plus lourds, une approche progressive peut être envisagée.

Plusieurs dispositifs existent pour faciliter cette transition. Dans beaucoup d’établissements, les accueils de jour permettent de passer une journée en EHPAD sans y dormir, l’occasion de découvrir l’établissement, de rencontrer des professionnels, de tisser des premiers liens, tout en conservant le retour au domicile le soir.

Certains établissements proposent aussi des séjours temporaires, souvent d’une durée d’un mois (pendant les vacances ou à la demande d’un aidant épuisé). Cette expérience aide à se projeter dans ce nouveau lieu de vie.

Lorsqu’une entrée en EHPAD suit une hospitalisation, la Fondation Partage et Vie encourage, autant que possible, l’organisation de visites de préadmission. Si l’état de santé de la personne ne le permet pas, ce sont parfois les professionnels qui se déplacent jusqu’à l’hôpital pour se présenter, montrer une courte vidéo, et amorcer ce lien avant le transfert.

Enfin, depuis deux ans, les centres de ressources territoriaux jouent un rôle clé dans cette préparation. Ces dispositifs, souvent portés par des EHPAD, coordonnent l’accompagnement des personnes encore à domicile mais dont la situation devient complexe. Grâce à eux, les résidents potentiels peuvent participer à certaines activités en EHPAD. Cette approche « poreuse » entre domicile et établissement permet une entrée plus douce, mieux vécue.

Quel serait votre conseil aux proches de parents dont l’autonomie devient problématique ?

Delphine Langlet : Il faut en parler. Il faut dire le mot, même si le mot EHPAD n’est pas très heureux, c’est vrai. Mais il faut pouvoir l’employer, l’expliquer, l’apprivoiser, ouvrir un espace de discussion et de confiance. Il ne s’agit pas d’imposer une décision, mais d’évaluer ensemble ce qui est possible, ce qui est souhaité, et ce qui reste compatible avec la situation réelle. Être à l’écoute des envies de la personne âgée, puis les confronter à la réalité de ses besoins et de sa sécurité, permet d’avancer sans rupture brutale.

On peut procéder par étapes : tenter un séjour court, revenir à domicile, puis reconsidérer la question. Certains refusent d’emblée l’idée d’une entrée en établissement, puis, avec le temps, ressentent une forme d’insécurité chez eux et finissent par envisager l’EHPAD comme une solution apaisante, voire rassurante. L’essentiel est d’amorcer le dialogue tôt, sans attendre la crise. Parler de l’EHPAD quand tout va encore à peu près bien, c’est se donner le temps de réfléchir, de visiter, de choisir.

Avant même d’en parler à leurs parents, les enfants doivent eux-mêmes être à l’aise avec cette idée. Tant qu’ils perçoivent l’EHPAD comme une solution d’échec ou une forme de renoncement, le dialogue restera bloqué. Il faut qu’ils puissent d’abord se convaincre qu’un EHPAD peut être un lieu de vie, de soins, d’échanges, et pas seulement un dernier recours. Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est d’aller voir. Dans bien des cas, les parents sont finalement plus lucides et plus prêts à envisager ce changement que leurs propres enfants.

* Une réflexion collective sous la conduite du philosophe Roger-Pol Droit et de Dominique Coudreau, président du conseil d’administration de la fondation Partage et Vie (médecins, psychanalystes, philosophes, experts, aidants, professionnels des établissements médico-sociaux et sanitaires, etc.), avec le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, le philosophe François Jullien…

L’entrée en Ehpad, comment s’adapter au changement de vie, ouvrage collectif sous la direction de Roger-Pol Droit et Dominique Coudreau, Editions PUF, Novembre 2025, 17 euros.

  • Source : Interview de Delphine Langlet, directrice générale Fondation Partage & Vie (05/11/25)

  • Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet

Destination Santé
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