PMA : la France à la traîne

10 mai 2016

En France, la loi encadre très strictement l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA). Seuls les couples hétérosexuels y ont accès. Or de plus en plus de femmes seules souhaitent bénéficier de ces techniques. Pour le Pr René Frydman, obstétricien spécialiste de la PMA, la législation française est d’autant plus incohérente que la fécondation in vitro (FIV) est accessible en Espagne ou en Belgique. Alors qu’il participait à un congrès sur les techniques de FIV organisé par la clinique barcelonaise Eugin (EBART), le « père » du premier bébé éprouvette français fait le point sur la situation hexagonale. 

En mars, René Frydman prend la tête d’une rébellion d’un genre particulier. Il publie avec 130 autres spécialistes français un manifeste dans le journal Le Monde. Ils y avouent avoir aidé leurs patientes infertiles à accéder à la PMA, en dehors du cadre légal. « Aujourd’hui, ils sont plus de 200 praticiens à l’avoir signé », précise-t-il. Mais pourquoi ce manifeste ?

« C’est une réaction de ras le bol chronique », explique-t-il. « Les médecins français ont l’impression de faire de la mauvaise médecine en matière de PMA. » Pourquoi ? « Aujourd’hui, on sait que 70% des embryons ne vont pas s’implanter. Mais on peut les reconnaître car ils sont porteurs d’une anomalie chromosomique », détaille-t-il.

Un exemple. « Une de mes patientes, âgée de 35 ans, a réalisé 4 fécondations in vitro (FIV) sans succès. Elle avait pourtant de beaux embryons, mais ils ne s’implantaient pas. Elle a donc décidé d’aller à l’étranger pour faire l’analyse chromosomique nécessaire. Résultat, 10 embryons sur 11 se sont révélés anormaux ! » poursuit-il. « Sans le test PGS (non-autorisé en France ndlr), elle aurait subi un an de transferts d’embryons congelés et des fausses couches sans succès. Ce qui nous donne, à moi et aux autres spécialistes, le sentiment de faire de la mauvaise médecine. De ne pas pouvoir donner les meilleures chances à nos patients, alors que celles-ci sont disponibles. »

Donner ou conserver

L’accès à cette technique d’analyse des anomalies chromosomiques de l’embryon n’est qu’une des revendications des auteurs du manifeste. « Il y a plusieurs points d’ordre médical et sociétal », souligne René Frydman. L’autoconservation des ovocytes en est un.

En France, seules les femmes soignées pour un cancer avec un traitement stérilisant ou celles acceptant de donner leurs ovocytes ont le droit de congeler leurs gamètes. « Une inégalité avec les hommes qui, eux, ont le droit de conserver leur sperme pour convenance personnelle ». En réalité, selon la loi, personne n’est autorisé à une congélation de convenance en France. Seules les « personne(s) dont la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité ». 

Or pour les auteurs du manifeste, la congélation des ovocytes d’une femme jeune devrait être possible dans une démarche préventive. Ainsi, « plutôt que de répéter à 40 ans des tentatives de FIV qui marchent peu, il faudrait pouvoir congeler pour réussir son projet de grossesse tardif de plus en plus fréquent. Pourquoi est-ce donc interdit ? Nous ne le comprenons pas. »

Des grossesses tardives, une tendance sociétale à prendre en compte

En 2010, en France métropolitaine, les femmes ont en moyenne leur premier enfant à 28 ans, soit quatre ans plus tard qu’à la fin des années 1960 d’après les données de l’INSEE. Résultat, l’infertilité naturelle entraîne une forte demande d’aide à la procréation. Or, pour le Pr Frydman, « il faut pouvoir y répondre ». En particulier pour les femmes seules de plus de 40 ans, dont la demande a augmenté ces 5 dernières années. Certes, « nous avons la chance que dans l’environnement européen des équipes répondent à leur demande, mais nous pourrions aussi bien le faire en France », insiste-t-il. « Au lieu d’être des médecins de la circulation, des flics en blouse blanche », s’insurge-t-il.

Pour ce faire, un autre point lui semble essentiel : « Améliorer le don d’ovocyte en France ». Il faudrait « le rendre digne d’intérêt en indemnisant de manière égale toutes les donneuses, car ce n’est quand même pas rien de donner des ovocytes ». Aujourd’hui, le don est volontaire, anonyme et gratuit.

Autre manière d’améliorer le nombre de donneuses, mener des campagnes ciblées, à l’hôpital, interdites en France. Et « ouvrir la possibilité aux centres privés, qui représentent la moitié des FIV, de recueillir les dons ». Seuls les établissements publics en ont le droit en France. L’Agence de la Biomédecine mène des campagnes depuis plusieurs années pour inciter au don. Pour le Pr Frydman « elles ne sont pas efficaces ».

« Une génération oubliée »

En France, « 15% des couple en âge de procréer consultent un spécialiste de la PMA », souligne René Frydman. C’est pourquoi, « nous souhaitons une vraie prise en compte de la prévention de l’infertilité. La mise en place d’un plan sur ses divers aspects pour offrir une information de qualité aux patients et des mesures appropriées dans l’offre de soins ». Avec notamment, « davantage d’études sur les facteurs polluants qui interfèrent avec la fertilité ».

René Frydman se dit toutefois confiant quant à l’évolution de ces questions. « Nous sommes sur le bon chemin pour y arriver car cela va dans le sens de l’histoire », note-t-il. « Mais cela prendra du temps, comme à chaque évolution (DPI, vitrification…) et en attendant, il y a une génération oubliée… Et c’est désolant pour notre activité professionnelle ! », conclut-il.

  • Source : interview du Pr René Frydman, spécialiste de la PMA, 22 avril 2016

  • Ecrit par : Dominique Salomon - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

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