Tabagisme : vers la fin de l’épidémie industrielle ?

21 octobre 2016

Les paquets neutres de cigarettes commencent à arriver dans les bureaux de tabac. Pour le tabac classique comme pour celui à rouler, finis les couleurs et logos pensés pour attirer l’œil et entretenir ce marketing destructeur de l’industrie du tabac en place depuis plusieurs dizaines d’années. Mais quelles stratégies lobbyistes ont régi les campagnes publicitaires depuis les années 30 ? Et à l’horizon 2017, quelle forme pourrait prendre la « publicité » du tabac ?

Une bille mentholée placée dans le filtre pour donner un peu de fraîcheur à votre cigarette, un paquet estampillé Che Guevara pour les esprits un poil rebelle, des feuilles à rouler certifiées « bio » dédiées aux adeptes du respect de l’environnement. Ou encore des cigarettes fines à la fraise pour le côté glamour et des paquets en forme de smartphone pour les accros du petit écran… Pas de doute, l’industrie du tabac personnalise les cigarettes en fonction des profils des consommateurs. Fournir un petit bâton qui nous ressemble et nous colle à la peau, une technique imparable pour ouvrir la voie de la dépendance.

« Mais fumer n’a jamais été un acte naturel », rappelle le Pr Karine Gallopel-Morvan de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP) et chercheur au sein de l’équipe d’Accueil Management des Organisations de Santé. « Derrière cette production se cache en effet d’énormes multinationales réfléchissant en termes de profit au détriment de la santé publique. Il faut savoir qu’un fumeur rapporte environ 10 000 dollars (9120 euros, ndlr) à l’industrie du tabac. »

Tournant de campagnes

Dès les années 30, les affiches publicitaires associaient sans aucun tabou la cigarette à la liberté, à l’émancipation et à un moyen raffiné permettant de couper la faim et donc de perdre du poids. Des sourires, des femmes libérées, des scènes de séduction, des cheveux dans le vent, des cigarettes qui ne modifient pas la voix… « La perception positive du tabac était propagée sans problème par les industriels ». Mais dans les années 50, la science avance et le lien du tabagisme avec un risque élevé de cancer commençait à voir le jour. S’en sont suivies plusieurs dizaines d’années de combat par les associations de patients pour faire reconnaître ce risque. Par la suite, en interdisant la publicité directe et indirecte du tabac, la loi Evin du 10 janvier 1991 pose les premiers jalons d’une lutte contre la banalisation faisant 78 000 décès chaque année en France. Pour autant, la France reste l’un des pays les plus consommateurs d’Europe, notamment dans la population jeune.

« Avec l’arrivée des paquets neutres, le processus de ‘démarketisation’  est en cours. » Et la publicité n’est plus légale. Des points positifs. « Mais des stratégies beaucoup plus insidieuses subsistent », explique le Pr Gallopel-Morvan. L’industrie du cinéma continue elle aussi de véhiculer les plaisirs de la fumée et des inhalations nicotiniques. Autre levier, « quasiment toutes les marques de cigarettes classiques existent en tabac à rouler ». Certes ces paquets seront, eux aussi, neutres au 1e janvier 2017. « Mais le tabac à rouler continuera de circuler, et ses idées reçues avec. » Principales victimes, les jeunes, les plus adeptes de ce tabac en vrac.

Les risques du tabac à rouler mal connus

Parmi la population fumeuse, la France regroupe à ce jour 16,5% d’adeptes du tabac à rouler. Pour évaluer la perception de cette forme de consommation, l’EHESP a sondé la génération 18-25 ans de mai à juillet 2016. Les jeunes avancent plusieurs raisons pour justifier leur préférence. Tendance générale, le tabac à rouler est choisi pour les économies qu’il génère et l’impression illimitée du paquet. « En moyenne, 20 cigarettes roulées coûtent 2, 40 euros ». Contre plus du double pour un paquet classique comprenant 25 cigarettes. Autres facteurs décisifs, la possibilité de personnaliser les cigarettes en choisissant le tabac, les feuilles et les filtres, et le plaisir du geste manuel.

La perception erronée selon laquelle le tabac à rouler serait naturel donc moins dangereux comparé aux cigarettes classiques fait aussi son chemin. Enfin les jeunes trouvent aussi le goût et l’odeur plus authentiques que la cigarette classique, et apprécient la dimension sociale de ce tabac plus propice au partage.

A noter : Petite révolution dans la lutte menée contre le tabagisme, les paquets neutres ont déjà fait leur arrivée dans une dizaine de pays du monde. « Ce dispositif diminue le pouvoir des marques de tabac », confirme le Pr Gallopel-Morvan. La preuve, en Australie, premier pays à avoir effectué la transition en 2012, « les industriels ont porté plainte contre le gouvernement. »

  • Source : Conférence piloté par l’Agence Régionale de Santé Pays de la Loire et l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie Pays de la Loire (A.N.P.A.A.), le mardi 18 octobre.

  • Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

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