Les vitamines, des chiffres et des lettres
06 mai 2013
Une orange moyenne fournit 70 mg de vitamine C soit 60% de l’apport nutritionnel conseillé. © Phovoir
De la vitamine C dans les oranges, le cassis ou les kiwis. De la vitamine A dans le jaune d’œuf ou dans les huîtres. La B1 dans les germes de blé ou le jambon. Si aujourd’hui chacun reconnaît l’aspect essentiel –pour ne pas dire vital – de ces substances, qui connaît leur histoire ? Pourquoi sont-elles classées par ordre alphabétique ? Pourquoi passe-t-on soudainement de la lettre E à la lettre K ? Le Dr Jean-Marie Bourre, membre de l’Académie nationale de médecine et spécialiste de la nutrition lève le voile et nous conte « l’histoire amusante des vitamines ».
« Si les vitamines portent des lettres, c’est tout simplement en raison de la découverte de la première d’entre elles » explique le Dr Bourre. Et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il ne s’agit pas de la vitamine A…
« Tout commence à la fin du XIXe siècle. Très précisément en 1887. Un médecin néerlandais, Christiaan Eijkmann, fait une observation décisive. Alors qu’il vivait en Asie, aux Indes néerlandaises, il remarque chez des poulets dont l’alimentation avait été modifiée, les symptômes du béribéri. Lorsque les volatiles étaient nourris au riz poli, c’est-à-dire débarrassé de tout ce qui entoure l’amidon de la graine, ils développaient une maladie très proche de celle observée chez les prisonniers ou les malnutris. L’idée était née que dans l’alimentation, et notamment dans le riz complet, une certaine substance jouait un rôle indispensable à notre bonne santé. »
B… comme béribéri
Pour autant, on ne parle pas encore de vitamines. Il faudra en fait attendre 1912 et la découverte d’un certain Casimir Funk, biochimiste américain d’origine polonaise. Quelque peu oublié aujourd’hui, c’est pourtant lui qui réussit à isoler la substance active responsable de la carence observée chez les patients atteints de béribéri. Il décide alors de la nommer « vitamine ». Vit–comme vitale et –amine qui est le nom d’un composé organique. Une découverte qui lui valut le prix Nobel (1929)!
En 1916, un biochimiste américain, Elmer McCollum donnait à la vitamine de Funk, le nom de « B hydrosoluble ». B, comme béribéri. « En 1926, on se rendit compte qu’elle était en réalité constituée de 2 substances à pouvoir vitaminique » précise Jean-Marie Bourre. « La vitamine B fut donc scindée en deux : la vitamine B1 (celle mise en évidence par Casimir Funk et qui participe à la transformation du glucose en énergie) et la vitamine B2 (antioxydante). » Les premières vitamines ainsi identifiées, leurs formules chimiques ont pu être établies, et par la suite, leur synthèse.
La vitamine B1 est donc la première à avoir été mise en évidence pour ses effets. Dès lors, d’autres facteurs vitaminiques vont être successivement découverts dans les aliments. C’est le cas de la vitamine A. Si elle fut identifiée en 1913, il faudra attendre les années 1930 pour déterminer sa structure chimique et bien comprendre son rôle bénéfique. A savoir sur notre vue, notre peau ou encore notre système immunitaire. « Cependant, on s’est aperçu qu’elle n’avait rien à voir sur le plan physico-chimique avec la vitamine B, ne serait-ce que parce qu’elle se dissout dans les graisses (liposoluble), tandis que la vitamine B est hydrosoluble » indique le Dr Bourre. « Ne pouvant donc l’appeler ‘B quelque chose’, il a été décidé en toute logique de recommencer au début de l’alphabet. Ce fut donc la vitamine A. »
Le Dr Jean-Marie Bourre
« Par la suite, d’autres vitamines B ont été découvertes, jusqu’à la B12 aux vertus antianémiques. Puis ce fut le tour de la vitamine C qui se dissout, elle aussi, dans l’eau. Mais, trop différente du groupe B, une troisième lettre fut choisie. » L’histoire de cette vitamine est intimement liée à celle du scorbut, une maladie qui frappait les marins dont l’alimentation était dépourvue de produits frais. Dès le XVIIIe siècle, on découvre que la consommation de citrons prévient cette maladie, mais ce n’est qu’en 1928 que la substance sera isolée et nommée acide ascorbique (en référence au scorbut donc).
A, B, C et ainsi de suite :
- La vitamine D dont l’histoire est liée au rachitisme. Dès la fin du XVIIIe siècle, l’administration d’huile de foie de morue est préconisée contre la maladie. Mais il faudra attendre les années 1920 pour que soit isolé le calciférol, nommé plus tard vitamine D et 1924 pour découvrir que les rayonnements solaires en sont une source naturelle ;
- La E (ou tocophérol) un antioxydant bien connu dont la synthèse est réalisée à la fin des années 1930. Depuis, elle a notamment prouvé ses bienfaits sur le plan cardiovasculaire ;
- Puis on passe directement à la lettre K. « Cette dernière facilite une meilleure coagulation » précise Jean -Marie Bourre. « Mais comme elle a été découverte par un germanophone, il a choisi la lettre K comme Koagulation. »
De E à… K
« Au cours des années, les attributions de noms furent chaotiques. Certaines substances furent définies à tort comme vitaminiques. Pendant un temps leur fut attribuée une lettre. La biotine, l’une des gloires de l’œuf, fut dénommée vitamine H, avant de devenir la B8. La choline, découverte dans la bile de bœuf est aussi un nutriment essentiel à ranger dans le groupe B. Mais elle fut longtemps considérée comme la vitamine J… »
Et la F ? « La vitamine F est la dénomination initiale puis abandonnée des futurs oméga-3 et 6 », insiste l’Académicien. « Les oméga-3 ne doivent plus être qualifiés de vitamines. Ils répondent à toutes les définitions des vitamines sauf une : une vitamine n’apporte pas de calories, du fait des minuscules quantités mises en jeu. »
Le Dr Jean-Marie Bourre est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la nutrition. Citons par exemple La nouvelle diététique du cerveau (2010) ; Bien manger, vrais et faux dangers (2008) ; La vérité sur les oméga 3 (2007) ou encore Les aliments de l’intelligence et du plaisir (2001), tous aux éditions Odile Jacob.
Ecrit par : Vincent Roche – Edité par : Emmanuel Ducreuzet