Rhumatologie : une spécialité bien française
23 septembre 2013
La rhumatologie française, au cœur des révolutions thérapeutiques ©Phovoir
Atteintes articulaires et du squelette, maladies inflammatoires et auto-immunes… Aujourd’hui la rhumatologie prend en charge de multiples pathologies. L’école française, toujours en pointe, a été à l’initiative du regroupement de plusieurs pathologies sous le terme de rhumatologie. Le Pr Charles-Joël Menkès, membre de l’Académie nationale de médecine, en a été un témoin privilégié.
« Le mot rhumatologie a été très néfaste au développement de notre spécialité », se plaît-il à raconter. « En réalité personne ne savait à quoi cela correspondait. Etymologiquement, le mot vient du grec ‘rheumatismos » qui signifie ‘écoulement d’humeur’. Pour tout dire, nous n’étions pas très pris au sérieux avec une telle définition et bien loin du prestige d’un cardiologue ».
L’atteinte articulaire, reconnue, la plus ancienne est la goutte. « Hippocrate s’est intéressé à cette maladie. Mais à cette époque, personne ne parlait de rhumatologie. En fait notre discipline, il faut l’avouer est relativement récente », souligne le Pr Menkès. Et tout, a semble-t-il commencé en France. « Dans les années 1920, il existait une ligue française contre les rhumatismes. Cette dernière mettait plutôt en exergue le côté social de l’atteinte articulaire et de la gêne fonctionnelle avec son retentissement familial et professionnel. »
Mais à cette époque déjà, un médecin français, se fait remarquer. « Après un brillant internat de médecine à Paris, Jacques Forestier retourne à Aix-les-Bains pour se consacrer à la médecine thermale. C’est ainsi que dans les années 20, il a remarqué les effets bénéfiques des sels d’or utilisés pour traiter la tuberculose, chez des personnes qui souffraient également de polyarthrite rhumatoïde. Jacques Forestier était un personnage assez extraordinaire, il a réussi à reconnaître les différentes formes de maladies rhumatismales alors confondues et il a largement contribué au développement de la rhumatologie ».
Les années 50 et la naissance de la rhumatologie universitaire.
Mais il faudra attendre 1948 pour que la première clinique rhumatologique, à l’hôpital Cochin de Paris, voie le jour en France. « Sous l’impulsion du Pr Florent Coste, dermatologue, notre spécialité a pris son envol. Puis peu de temps après, s’est créé une autre clinique, à Lariboisière. Elle était l’œuvre du Pr Stanislas de Sèze. De formation neurologique, il s’intéressait davantage aux problèmes de colonne vertébrale, de sciatique. Le Pr Coste lui, s’intéressait plus particulièrement aux maladies rhumatismales inflammatoires à caractère systémique comme la polyarthrite rhumatoïde et les connectivites ».
Cette approche plus globale de l’école française, explique pourquoi elle se différencie de l’américaine. « Outre-Atlantique, les professeurs de médecine se concentraient sur les pathologies articulaires et les maladies auto-immunes, comme le lupus. L’ostéoporose par exemple relevait uniquement des compétences des endocrinologues et l’arthrose intéressait surtout les chirurgiens orthopédistes ».
Le Pr Florent Coste et son assistant Florian Delbarre ont par la suite donné ses lettres de noblesse à la spécialité. « Tous deux ont souhaité qu’il y ait dans chaque ville de faculté française un service de rhumatologie, ils ont contribué à la formation de chaires de rhumatologie un peu partout en France, dans les années 50. Dans les années 60 se sont développés des réseaux de spécialistes en rhumatologie. Et ceci a abouti à l’apparition de très nombreux rhumatologues, particulièrement compétents».
Une histoire de traitements ?
A cette date la rhumatologie française est en ébullition. Les recherches fondamentales s’accélèrent et le champ d’intervention ne cesse de s’étoffer. « En France, la rhumatologie est une discipline très large aujourd’hui. On prend en charge toutes les atteintes articulaires (par exemple, l’arthrose) et squelettiques (par exemple, l’ostéoporose), le mal de dos, les rhumatismes inflammatoires (spondylarthrite ankylosante), les maladies auto-immunes (lupus), les affections liées à des microcristaux (goutte, chondrocalcinose)… »
L’histoire de la rhumatologie est étroitement liée à celle des traitements médicamenteux. La première révolution en la matière a eu lieu juste après la seconde guerre mondiale, avec l’arrivée de la cortisone. En 1949, l’Américain, Philip S. Hench, observe les effets spectaculaires de la cortisone sur des patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde. « A l’époque, les malades étaient totalement immobilisés et infirmes. Traités avec la cortisone, ils se levaient de leur chaise roulante et se retrouvaient quasiment libres de leurs mouvements. C’était assez extraordinaire », s’enthousiasme le Pr Menkès. Mais les effets secondaires nombreux et parfois graves en ont rapidement limité l’usage. »
Deuxième révolution, l’apparition du méthotrexate dans les années 1980. « Ce traitement anticancéreux appliqué à faibles doses pour bloquer la réaction inflammatoire liée polyarthrite donnait des résultats intéressants et importants. Cela reste actuellement, le traitement le plus achevé en ce qui concerne le traitement de fond de nombreuses maladies inflammatoires ». Pour le Pr Charles-Joël Menkès, c’est là qu’est intervenu le changement le plus profond dans la pratique des rhumatologues. « Nous étions souvent accusés d’être uniquement des prescripteurs d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, occasionnant des ulcères d’estomac, sans pouvoir guérir nos patients. Avec l’arrivée du méthotrexate, la guérison n’est pas encore vue, mais nous pouvions changer la qualité de vie des malades ».
A la fin des années 90, les médicaments dits de biotechnologie vont à leur tour être à l’origine d’un progrès thérapeutique considérable. « Ce qui a été révolutionnaire dans l’approche actuelle de la maladie rhumatismale, c’est la possibilité de bloquer certaines substances dans le sang, ou certaines cellules responsables de la réaction inflammatoire. C’est le TNF. C’est ainsi qu’ont été mis au point les anti-TNF-alpha. Le premier traitement ciblé, lié à l’anomalie même de la maladie. Certains patients souffrant de spondylarthrite ankylosante, par exemple, peuvent également bénéficier grandement de ce traitement et obtenir une rémission ».
Ecrit par : Emmanuel Ducreuzet – Edité par : David Picot